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Invité Afrique

24 Episodes

6 minutes | Apr 2, 2023
Mali: «Le Gao rap est un rap révolutionnaire», dit Baba Konaté
Originaire de la ville de Gao, Baba Konaté alias « Babsy » est l’un des pionniers du rap dans la ville du nord du Mali. Au point d’avoir créé avec d’autres chanteurs un style : le « Gao rap », un mélange étonnant et détonant de sons traditionnels, de guitares électriques avec des rythmes de ragga et des nappes venus tout droit des séries de Bollywood. Pour la première fois, le label Sahel Sounds produit un album complet de « Babsy », Tounga, un retour sur quinze années de production de ce « Gao rap ». ► À écouter aussi : Iba One, un gladiateur devenu empereur
5 minutes | Mar 31, 2023
Catherine Liousse: «Il y aurait un million de morts par an liés à la pollution de l’air aux microparticules» en Afrique
La pollution de l’air s’est aggravée en 2022 en Asie, au Moyen-Orient et en Afrique. C'est ce qui ressort du dernier rapport que vient de publier la société suisse IQAir, spécialisée dans ce type de pollution. Avec des concentrations de particules fines allant jusqu’à 89,7 microgrammes par mètre cube, Ndjamena serait la ville où la qualité de l’air est la pire au monde. Il existe plusieurs réseaux comme IQAir, tous les classements donnent des résultats différents mais tous font le même constat : la pollution de l'air des villes africaines est très préoccupante. Catherine Liousse est directrice de recherches au CNRS, au laboratoire d'aérologie de Toulouse. Elle se trouve à Abidjan en ce moment et répond aux questions de Carine Frenk.   RFI : Catherine Liousse, à en croire les résultats de ce rapport sur la pollution de l’air en Afrique, Ndjamena est la ville la plus touchée au monde par cette pollution aux microparticules, 17 fois plus que le seuil recommandé par l’OMS. C’est assez incroyable ? Catherine Liousse : Les chiffres paraissent incroyables, mais moi, ça ne m’étonne pas au-delà, parce que je l’ai montré ailleurs. Sur toute l’Afrique de l’Ouest, alors là avec des capteurs bien calibrés, on a montré  que les concentrations en particules fines étaient 3 à 15 fois supérieures à la norme de l’OMS [Organisation mondiale de la santé]. On a fait des mesures à Bamako, là Bamako n’apparaît pas. Bamako a des concentrations aussi importantes qu’à Dakar, qu’à Ouagadougou. On a fait des mesures au Cameroun. On a fait des mesures dans plusieurs villes qui ont toutes dépassé de 3 à 15 les normes OMS. Et ce n’est pas comme en Europe des pics de pollution. Ce sont des pollutions qui sont constantes, c’est du long terme. Et ce, pour plusieurs raisons. Quelles sont ces raisons ? Déjà, nous avons une démographie galopante ces dernières années. Par exemple, si on regarde à Dakar, on a augmenté d’un million la population de Dakar de 2007 à 2017. Donc qui dit augmentation de la population dans les villes dit forcément activités anthropiques qui sont développées. Pour n’en citer que quelques-unes, il y a le trafic qui est incontrôlé. Il y a des feux domestiques avec le charbon de bois, le bois, etc. Il y a les déchets urbains qui représentent une grande source de pollution, qui sont brûlés. Il y a les industries. Cela fait un cocktail de pollution urbaine. Mais associées à ça, la plupart des villes africaines sont sous les vents finalement du désert et des particules qui arrivent du désert, pour tout ce qui est Afrique de l’Ouest et centrale, et qui viennent se rajouter à la pollution anthropique, associée à des conditions physico-chimiques de température et d’ensoleillement qu’on connait, tout cela fait un cocktail de polluants qui est très important pour l’Afrique. On parle souvent des pots d’échappement, beaucoup moins de l’utilisation du charbon de bois dans les ménages. Ça, c’est un vrai problème ? Le charbon de bois et le bois sont des grands émetteurs de particules, et de particules fines. Effectivement, ils contribuent beaucoup à la pollution intérieure par exemple, sachant qu’en plus, souvent les cuisines sont peu ou pas ventilées. Donc, les habitants, surtout les femmes, respirent cette pollution toute la journée et cela a des conséquences sanitaires importantes. Justement, avec de tels dépassements, que faut-il craindre pour la santé des habitants ? Les particules fines pénètrent dans l’appareil respiratoire et elles vont donc avoir des impacts sur l’inflammation des cellules, et ensuite conduire vers des maladies. Nous, on a fait un calcul à l’échelle de l’Afrique : il y aurait un million de morts par an, liés à cette pollution, un million de morts avec des maladies respiratoires et des maladies cardiovasculaires, etc. Ouagadougou, Kinshasa, Abidjan et Dakar sont citées. Mais de nombreuses villes africaines ne sont pas citées dans un rapport comme celui-là. Faute de données, seulement 19 pays sur 54 disposent d’un système de surveillance de la qualité de l’air. Comment cela est-il encore possible ? Oui. Le manque de données effectivement sur l’Afrique est criant, et ça c’est évident. Un vrai réseau de qualité de l’air comme nous avons en Europe, ça il y en a très peu, il n’y en a même pas 19 sur 54, un vrai réseau avec des mesures comme nous avons en France avec  le réseau Ademe [Agence de la transition écologique à Paris, Ndlr]. On peut en citer un sur l’Afrique de l’Ouest uniquement, c’est celui de Dakar qui marche depuis 10 ans. Mais ça va plus loin que le manque de données sur la pollution de l’air. Ça va aussi sur par exemple compter le trafic, compter les activités domestiques, tout ce qui est en amont de la pollution, pour pouvoir réduire cette pollution. Pas de données, cela veut dire pour les gouvernants, pas de problèmes. Donc, pas de solution à chercher ? Plus il y aura de données, plus les gouvernements seront à même de vouloir proposer des solutions. Il faut multiplier les mesures, multiplier les coordinations de réseaux qui existent aujourd’hui et qui se développent pour pouvoir proposer des solutions de réduction de la pollution, parce qu’on voit que, si finalement on ne fait rien sur cette pollution, la pollution continuera d’augmenter. On peut imaginer qu’en 2030, elle sera multipliée par 4 sur l’Afrique si rien n’est fait avec 200 000 morts en plus sur les 1 million qu’on disait tout à l’heure. La population souffre et va souffrir de plus en plus de cette pollution aux particules fines dans les villes africaines.
7 minutes | Mar 30, 2023
Algérie: «Il y a un retour de la rhétorique de la peur»
En Algérie, c'est le 2 avril 2023 que l'on connaîtra le verdict dans le procès du journaliste Ihsane El Kadi, le fondateur du site d'informations Maghreb Emergent, contre qui le procureur a requis cinq ans de prison dimanche dernier. Pour beaucoup d’observateurs, Ihsane El Kadi est loin d’être le seul prisonnier d'opinion en Algérie. Pourquoi cette vague de répressions, trois ans après l'arrivée au pouvoir d'Abdelmadjid Tebboune ? Dalia Ghanem est analyste à l'European Union Institute for Security Studies (EUISS) et a publié, en anglais, L'autoritarisme compétitif en Algérie. Elle répond aux questions de Christophe Boisbouvier.   RFI : Dalia Ghanem, le procureur a requis cinq ans de prison contre le journaliste Ihsane El Kadi. Comment interprétez-vous ce réquisitoire ? Dalia Ghanem : C'est dans la continuité de cette escalade répressive qui remonte, je dirais, au confinement puisque les autorités algériennes avaient utilisé le confinement du Covid-19 pour étouffer le Hirak, et c'est dans la continuité de ces actes de répression.  Alors, notre confrère Ihsane El-Kadi a été arrêté en décembre dernier juste après avoir signé une analyse sur ce qu'il appelle « l'incapacité du président Tebboune d'ouvrir une perspective politique ».  Oui, tout à fait. Alors je pense que Ihsane, il est l'un parmi tant d'autres, étant de ses rares journalistes qui, encore indépendant, dit ce qu'il pense et bien sûr ça dérange le régime. Alors, il faut savoir que la liberté d'expression, oui, elle existe, mais elle existe encore sous certaines conditions. C'est-à-dire quand le régime décide ou juge que vous avez dépassé la ligne rouge, vous êtes jugé pour diffamation, parfois pour association avec le terrorisme. Donc, ils utilisent aussi l'appareil judiciaire pour pouvoir arriver à leurs fins. Et je pense que Ihsane, il n’est pas le seul, il y a aussi des chercheurs, des universitaires, qui ont été aussi inquiétés, parfois arrêtés pour des raisons complètement fausses, mais c'est aussi une manière pour le régime d'effrayer la population et d'arrêter toute velléité du Hirak de revenir.  Et visiblement le président Tebboune a été piqué au vif par cette analyse d'Ihsane El Kadi puisque deux mois plus tard, en février dernier, il a accusé publiquement Ihsane El Kadi d'être un « khabardji », c'est-à-dire un informateur comme du temps de la guerre pour l'indépendance.  Tout à fait. Alors c'est un classique, j'ai envie de dire, ce sont des insultes, entre guillemets : « Khabardji », ou alors harkis, ou alors complotistes, avec cette fameuse rhétorique de la main étrangère qui veut du mal à l'Algérie. Effectivement, il y a un retour vers une rhétorique de la peur. Il n’y a pas que Ihsane bien sûr, ils sont à peu près 280 à 300 personnes à être dans les geôles algériennes aujourd'hui. Et je pense qu'il faut aussi parler de toutes ces personnes qui sont peut-être moins connues, mais au-delà des grands noms et des procès très médiatisés, il y a quand même 300 personnes aujourd'hui qui sont des détenus politiques pour leurs opinions. Donc, je pense que ce processus d'escalade répressif va continuer dans les prochains mois jusqu'à ce que le régime soit, j'ai envie de dire, certain que le Hirak ne reviendra pas dans les rues.  Mais pourtant, on croyait que ce mouvement Hirak s'était essoufflé depuis le Covid et qu'il n'inquiétait plus le régime.  Alors il s'est essoufflé, oui, mais encore une fois on ne sait pas ce qu'il est : est-ce qu'il est mort, je dirais ? Les Algériens, en février 2019, ont prouvé leur capacité à se mobiliser et ont prouvé aussi leur capacité à bien se mobiliser. On se rappelle tous de cette mobilisation pacifique et civique. C'était à la même à l'époque que les « gilets jaunes » en France et je me rappelle que les analystes étaient assez impressionnés par le civisme de ce mouvement. Donc ça a pris le régime un peu au dépourvu, ils ne s'attendaient pas à ça. Et donc, ils se disent à un moment donné, effectivement, le Hirak pourrait revenir. Pour le moment, ils ont une manne économique qui est assez importante grâce à la guerre en Ukraine qui permet aussi d'acheter encore la paix sociale, mais ils se disent quand il y aura plus le moyen d'acheter la paix sociale et quand la taille de la carotte - parce que c'est toujours la carotte et le bâton - ne sera plus disponible il faudra utiliser un peu plus le bâton parce qu'ils ont encore cette crainte que le Hirak revienne sous une forme ou sous une autre.  Il y a trois ans au moment de l'arrivée au pouvoir d'Abdelmadjid Tebboune, il y a eu un vent d'espoir démocratique sur l'Algérie. Est-ce qu'aujourd'hui ce vent est totalement retombé ?  Il y a eu un vent d'espoir démocratique ? Je ne suis pas sûre. Ce qui arrive dans les régimes comme le régime algérien qui a un régime semi-autoritaire, dans les moments de transition, les études ont montré que il y a deux voies généralement : soit une ouverture et donc on a le nouveau leader qui veut parler à l'opposition et faire des concessions, ce qu'on avait pensé d'Abdelmadjid Tebboune au début, puisque on se rappelle que deux mois après son élection la télévision nationale avait annoncé la sortie de prison d'à peu près 76 activistes. Mais en fait, très vite, il s'est avéré que l'Algérie nouvelle dont il parlait était rhétorique. Dès l'élection de Tebboune, trois mois après, le retour vers un autoritarisme beaucoup plus dur est déjà en marche parce que le régime n'a pas de vision politique stratégique. La seule vision du régime, c'est de se maintenir.  Abdelaziz Bouteflika, Abdelmadjid Tebboune : peut-on dire que les présidents passent et que c'est l'armée qui reste au pouvoir ?  Tout à fait. D'ailleurs je l'explique bien dans mon livre, je dis : « Le centre, le cœur du pouvoir en Algérie reste l'armée, elle prend les décisions majeures, elle ne gouverne pas au jour le jour, mais c'est elle qui dirige le pays, c'est elle qui prend les décisions les plus importantes de politique étrangère, d'économie et cetera. » Donc, effectivement, les présidents se succèdent. Il ne faut pas oublier aussi que les présidents sont choisis quand même par l'armée. Le retour de Bouteflika en 1999 n'aurait pas été possible sans l'aval de l'état-major de l'armée et pareil pour Abdelmadjid Tebboune.  Le départ du gouvernement du ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, est-ce le signe d'une discorde au sein de l'appareil d'État et peut-être d'un vrai débat démocratique à venir, en vue de la prochaine élection ?  Un vrai débat démocratique, non, mais d'une discorde, oui, ce n'est pas la première. On a vu Ramtane Lamamra partir et revenir souvent. Alors, c'est un peu triste pour la diplomatie algérienne parce que c'est quand même l'un des poids lourds de la diplomatie algérienne, c'est monsieur Afrique, c'est quelqu'un qui connaît très bien le continent africain, c'est quelqu'un qui est bien connu dans les instances de l'ONU. Il est clairement aussi le signe d'un conflit entre le président et le ministre des Affaires étrangères. Et je pense que, en tout cas, les rumeurs veulent que monsieur Lamamra ait des ambitions présidentielles. Alors est-ce que c'est vrai ou pas ? Clairement, encore une fois, le régime fait attention à qui il place, où il les place.
6 minutes | Mar 29, 2023
Mamadou Diouf: au Sénégal, «cette tension est annonciatrice de violences qui pourraient être incroyables»
Au Sénégal, s'ouvre une nouvelle séquence politique à risques, à la veille du procès pour diffamation d’Ousmane Sonko, prévu jeudi 30 mars 2023. La principale coalition d’opposition a maintenu ses appels à des mobilisations à Dakar, ce mercredi et ce jeudi, malgré l’interdiction des autorités. Dans un climat crispé, à moins d’un an de l’élection présidentielle prévue en février 2024, notre invité ce matin est l'historien sénégalais Mamadou Diouf. Il a signé la semaine dernière, avec une centaine d'intellectuels, une pétition adressée au président Macky Sall : « Nous constatons une violation flagrante, répétée et disproportionnée des droits des citoyens », peut-on lire dans cette tribune intitulée « Appel à la raison ». Parmi les nombreux signataires, l’écrivain Boubacar Boris Diop, la sociologue sénégalaise Fatou Sow, la journaliste franco-tunisienne Sophie Bessis ou encore Mamadou Diouf donc. L'historien, professeur à l’université de Columbia à New-York, répond aux questions de Carine Frenk. RFI : Pourquoi cette démarche ? Pourquoi cette mobilisation aujourd’hui de la part des intellectuels ? Mamadou Diouf : Je pense que la mobilisation des intellectuels, qui s’intéressent et se préoccupent du Sénégal, est motivée par une seule chose, c’est cette tension qui est perceptible et qui est annonciatrice de violences qui pourraient être incroyables. Et donc l’idée c’est de dire : ce pays est en train d’aller à la dérive. Donc les deux buts de la pétition, c’est d’une part de dire qu’il faut revenir à de meilleurs sentiments et créer un environnement pacifique pour les élections à venir. La deuxième chose, c’est de dire qu’il faut veiller à ce que la démocratie sénégalaise non seulement ne soit pas écornée, mais qu’elle puisse se développer. RFI : Avant chaque présidentielle, on observe une montée des tensions. Qu’est-ce qui vous inquiète particulièrement en ce moment ? Mamadou Diouf : Je pense qu’avant chaque élection, on assiste effectivement à une montée de la tension. Mais aujourd’hui, ce qui est en train d’être remis en cause, et c’est ça probablement qui explique l’extrême mobilisation des partisans du pouvoir et de l’opposition, c’est que toute une partie des acquis sont en train d’être remis en cause. C’est-à-dire que ce qui est en train de se passer aujourd’hui, c’est un champ de bataille ouvert et des acteurs prêts à la confrontation. Et c’est ça qui a changé. RFI : Et quelles violations observez-vous ? Mamadou Diouf : Il y a toute une série de violations. La plus importante, c’est cette question du troisième mandat et en fait l’idée d’une candidature de l’actuel président. La deuxième chose, qui est beaucoup plus générale, c’est le non-respect des dispositions constitutionnelles, le droit de manifester, le droit à s’opposer. Et la troisième chose, c’est le recours à la répression, le recours à la police, le recours à la justice, pour éliminer les opposants et éliminer les principaux candidats à la présidence de la République. RFI : Vous insistez beaucoup sur l’instrumentalisation de la justice, ce n’est pas un phénomène nouveau pourtant ? Mamadou Diouf : Bien sûr, mais à ce point-là, c’est inédit. Ce qui est aussi inédit, c’est qu’aujourd’hui, les gens n’acceptent plus cela, c’est cela qui crée cette situation qui est une situation de tensions. RFI : Dans cette pétition, les signataires lancent au président Macky Sall un appel à la raison. Que lui demandez-vous précisément ? Mamadou Diouf : Ce que les pétitionnaires demandent, c’est tout simplement le respect de la Constitution, qui dit que le président Macky Sall ne peut pas se représenter, le respect du droit des opposants à s’opposer sans qu’on ne mobilise la justice pour, en fait, les éliminer. C’est tout ce que ça demande. Cette pétition dit qu’il faut revenir à la raison et arriver à créer un environnement d’une société ouverte, qui permette à toutes les ambitions de se développer, à toutes les opinions de s’exprimer, pour avoir un débat démocratique et pacifique. RFI : Mais le terme de troisième mandat ne figure pas dans votre texte ? Mamadou Diouf : Parce que ce mot n’a pas à y figurer. Cette pétition n’a pas pour fonction de trancher quelque chose qui est déjà tranché. Pourquoi va-t-on parler de quelque chose qui est réglé si on considère que c’est réglé ? RFI : L’opposition ne doit-elle pas elle aussi entendre votre appel à la raison ? Mamadou Diouf : Bien sûr, l’appel à la raison est un appel adressé au président de la République, mais c’est un appel à l’ensemble des acteurs sénégalais. Mais nous estimons que lui, il joue le rôle principal. Non seulement il joue un rôle dans la situation dans laquelle on se trouve, mais il est investi du pouvoir d’instaurer la paix au Sénégal. Et vous voyez, la pétition ne prend pas position. La pétition dit seulement : l’atmosphère est en train de pourrir, et on s’apprête à la violence. La violence, il faut la bannir parce que cette région est déjà une région qui est prise dans des secousses d’une violence inouïe. Tous ces gens qui ont signé ne partagent absolument pas les mêmes positions politiques, mais ils sont d’accord sur certaines choses : qu’il y ait des élections transparentes et non-violentes.
6 minutes | Mar 28, 2023
Ousmane Diallo (AI): «Au Sahel, les organisations de défense des droits humains continuent de travailler dans un climat très hostile»
L’Afrique n’a pas échappé au phénomène : la situation des droits humains s’est dégradée dans toutes les régions du monde l’an dernier, souligne le dernier rapport d’Amnesty international. Ousmane Diallo est venu à Paris présenter la situation du Sahel. Chercheur au bureau régional d’Amnesty à Dakar, il répond aux questions de Claire Fages. ► À lire aussi : Droits humains dans le monde, en 2022, un deux poids, deux mesures plus flagrant que jamais
5 minutes | Mar 27, 2023
Procès du 28-Septembre en Guinée: «Les dames qui sont passées à huis clos se sentent plus libérées»
Il y a six mois, le 28 septembre 2022, s'ouvrait un procès historique pour la Guinée. Le procès du massacre du stade de Conakry en 2009. Six mois plus tard, les onze accusés ont comparu, notamment l'ancien président Moussa Dadis Camara et son aide de camp Toumba Diakité. La Cour a également entendu à huis clos le témoignage de plusieurs femmes victimes de violences sexuelles... un moment particulièrement important pour Asmaou Diallo, présidente de l'association des victimes, parents et amis du 28-Septembre. Elle est l'invitée ce matin de Carine Frenk. RFI : Asmaou Diallo, six mois d’audience déjà pour ce procès historique. Quelle est l’image qui vous a le plus marquée ?  Asmaou Diallo : C’est surtout le jour où on a lancé l’ouverture de ce procès qu’on a attendu durant treize ans. Ça, c’était vraiment un bonheur pour nous, pour toutes les victimes, et je peux dire même pour la Guinée parce que c’est quelque chose au sujet duquel on se demandait : est-ce qu’on aura ce jour ? Et Dieu merci, c’est arrivé.    L’ex-président de la transition, le chef du CNDD [Le Conseil national pour la démocratie et le développement, Ndlr], le capitaine Moussa Dadis Camara, à la barre, c’est aussi une image très marquante ?   Oui, très marquante, parce que vous savez, le capitaine Dadis a toujours dit qu’il était prêt à venir devant la justice guinéenne, et ça, nous sommes vraiment très contents du fait qu’il ait accepté d’être là, ça aussi c’est très important pour la Guinée, c’est de faire comprendre aux Guinéens que personne n’est au-dessus de la loi.   Le voir sur le banc des accusés c’est une chose, mais est-ce que son témoignage, lui, est à la hauteur de vos attentes ?   Nous, victimes, on n’est pas satisfaites, jusqu’à présent on n’est pas du tout satisfaites, parce que jusque-là, d’abord lui il dit que c’est un complot de Sékouba Konaté, d’Alpha Condé, et de Toumba, qu’il n’en sait rien. Ceux qui sont avec lui aussi disent qu’ils ne le connaissent pas. Alors c’est ça maintenant le problème de ce procès, on se demande maintenant qui a été responsable, qui a donné l’ordre pour qu’on fasse ce massacre. Chacun dit : c’est l’autre, moi je ne connais pas, moi je ne sais pas. Et pourtant, il y a eu des tueries au stade, il y a eu des morts, il y a eu des violées, il y a eu des personnes disparues. Ces personnes disparues, on se demande, on se pose la question, ils n’ont qu’à le dire exactement où se trouvent les fosses communes s’il y a eu des fosses communes, et s’il n’y a pas de fosses communes, où se trouvent ces disparus. Et qui a commandité, qui a donné l’ordre, pour que ce carnage se fasse au stade ? C’est tellement sombre, jusque-là, ce n’est pas clair.  Mais tout de même, Toumba, l’ancien aide de camp de Dadis Camara, a parlé. Il a mis en cause Dadis Camara. Est-ce que son témoignage fait avancer la vérité ?   Je crois qu’il a éclairé la situation du 28-Septembre, tout ce qu’il s’est passé entre eux. Maintenant, quand lui il le dit, en tant qu’aide de camp de Dadis, Dadis n’a qu’à nous aider à voir la vérité. Peut-être le capitaine Dadis va finalement avoir vraiment la gentillesse de dire exactement ce qu’il en sait de ce qu’il s’est passé le 28 septembre. Il faut absolument que la vérité puisse sortir.   Et ce procès est retransmis à la télévision. Il est très suivi par la population. C’est quelque chose d’important pour vous ?   Oui, c’est très important. Vous savez, on avait demandé cela depuis le début, avant que le procès ne démarre, donc c’est très important et c’est très suivi, c’est très suivi au niveau national et international. Et le moment du huis clos, j’avoue que c’était compliqué pour les gens, on appelait souvent : quand est-ce que le huis clos va finir ? Parce que nous, on a envie de suivre le procès.   Les comparutions de Toumba ont cumulé plus d’un million de vues sur internet…  Oui, tout à fait. C’est Toumba qui a ouvert carrément les débats parce que lorsqu’il a témoigné, il y avait des choses que les Guinéens ne savaient pas.   Avez-vous observé des changements de comportement à l’égard des victimes qui ont beaucoup souffert de stigmatisation avant le procès ? Est-ce que les choses sont en train de changer ?   Oui, ça va les aider moralement. Tout le monde parle des victimes, donc les victimes sont vraiment très à l’aise de suivre le procès et de savoir que le procès est suivi. Il y a des victimes qui depuis le début jusqu’à aujourd’hui n’ont pas manqué un seul jour pour venir assister au procès.   Les parties civiles ont la parole actuellement, des victimes s’expriment à la barre. Ce procès les libère ?   Oui, ça les libère, je vous le dis, les dames qui sont passées à huis clos se sentent vraiment très ragaillardiesaujourd’hui parce qu’elles ont pu se libérer, parce qu’elles avaient ça dans le cœur durant treize ans. Je ne sais pas si vous avez suivi, il y en a une qui n’a pas voulu faire le huis clos, qui a vraiment eu le courage de témoigner à visage découvert. Je peux dire qu’elles ont eu vraiment mal au stade le 28 septembre, alors cette femme a su vraiment garder le cap. Il y a eu tellement de discrédit sur elle, mais elle a supporté, elle a expliqué exactement ce qu’elle a subi. Et je peux dire que ce sont des femmes qui sont braves, qui ont eu le courage d’être devant le tribunal, ça ça m’a beaucoup touché.
6 minutes | Mar 26, 2023
Eugène Ebodé, écrivain camerounais: «J’ai essayé de toucher l’africanité qui rime avec immortalité»
Notre invité Afrique est l'écrivain camerounais Eugène Ebodé. Dans son onzième roman Habiller le ciel, édité dans la série Continents Noirs chez Gallimard, il sculpte une mosaïque africaine autour d'une Mama Africa qui n'est autre que sa mère : « celle qui m'invitait à habiller le ciel de prières pour détourner de mon chemin de furieux orages », écrit-il. Eugène Ebodé répond à Houda Ibrahim. RFI : La mémoire, le souvenir de votre mère, domine votre roman Habiller le ciel mais à travers Vilaria, votre mère, c’est enfin le portrat d’une famille camerounaise que vous esquissez ? Eugène Ébodé : C’est exact, c’est le portrait d’une famille endeuillée. Mais au-delà du portrait de la famille, c’est aussi une convocation d’un espace africain que j’ai essayé de restituer à travers des circonstances qui n’étaient pas favorables, c’est-à-dire la mort d’une mère. J’ai eu moi-même la première surprise de m’apercevoir que ce n’était pas un roman de la tristesse, c’était un roman du souvenir mais aussi du prolongement de celui-ci vers un horizon que j’appellerais le passé recomposé. Il y a les prémices d’une attitude à l’égard de la création, c’est-à-dire que le jeune homme que j’étais à l’époque de la convocation des premiers souvenirs, c’est celui qui tendait vers l’imagination combinée avec une possibilité de renverser un ordre qui n’était pas forcément favorable. « C’est un passé, comme vous dites, recomposé » que vous racontez. Est-ce pour donner à votre mère la vraie place que son être méritait ? Oui, je pense, à travers une mère et notamment la mienne qui a fait de moi ce que je suis, parce que si j’avais suivi mes instincts initiaux, j’étais plus porté vers le jeu, vers le football et non vers la littérature. Et donc elle a souhaité que j’aille à l’école puisqu’elle-même n’avait pas fréquenté les bancs de l’école. Elle était donc une analphabète mais elle avait une telle connaissance de la vie traditionnelle et de sa propre langue que c’était un régal de l’écouter et puis, elle a souhaité que je puisse avoir un autre destin. Donc, les diplômes en particulier, étaient pour elle l’occasion d’une fête, d’une fête à la maison et comme elle était danseuse, elle combinait la satisfaction d’avoir des enfants qui récoltaient des bonnes notes à la convocation de son propre souvenir d’artiste, de danseuse et elle dansait. Elle invitait les voisins à participer à cette symphonie collective. Vous écrivez : « Raconter cette mère disparue, c’est comme tresser une sépulture de paille, destinée à dévorer bien vite la montagne pour se disloquer dans les ravins de la mémoire ». Et vous l’appelez également Mama Africa, votre mère… Oui, je l’appelle Mama Africa d’abord parce qu’elle aimait beaucoup Myriam Makeba. Elle aimait aussi le continent, l’Afrique. Quand je suis allé au Tchad, c’était ma première expérience à l’étranger, elle a laissé faire et ensuite je sais que j’ai eu une autre expérience de la Côte d’Ivoire, cette fois dans le domaine sportif, elle n’était pas très heureuse de me voir sur les terrains de football mais elle a accepté que je puisse acquérir une expérience de l’ailleurs. Cette expérience de l’ailleurs a beaucoup compté dans mon imaginaire. Au long de ce roman, vous décrivez votre sentiment de culpabilité. Votre mère est partie alors que vous étiez absent. L’écriture vous a-t-elle guéri de cette culpabilité ? Bien sûr, elle fait beaucoup de choses et d’abord, des rattrapages. Et puis, vous pouvez faire votre mea culpa, reconnaitre vos torts. En écrivant, vous regardez aussi… et la première des leçons que l’on peut avoir, c’est aussi par soi-même. Pour mon absence à l’enterrement de ma mère, ce n’était pas forcément une manière de m’extraire de la procession qui l’accompagnait à sa dernière demeure, c’était des circonstances. Nous étions sous Covid et c’était aussi l’idée que Mère étant morte en septembre, c’est le mois de la rentrée des classes. Je pensais qu’elle serait très heureuse que je sois devant mes élèves et non autour de son cercueil. En écrivant, je me suis aperçu que l’occasion qui m’était donnée d’opérer une sorte d’introspection et de sentir le poids de la culpabilité, eh bien le poids des mots m’enlevait les mots désastreux pour que la fête soit celle de la connaissance. Et Mère, je suis sûr que d’ailleurs, elle le fait dans le dernier chapitre de ce livre qui correspond, je pense, au sentiment que nous avons eu et à la communication qui n’est pas rompue entre nous. Au dernier chapitre de votre roman, Mère, comme vous l’appelez, continue à vous écrire de l’au-delà. Elle continue aussi à vous raconter des histoires, des secrets. Est-ce une manière de dire que nos proches disparus continuent de vivre à travers nous ? Ce chapitre est important parce qu’il restitue aussi la spécificité des littératures africaines. Moi, j’en fais une mère qui continue, vous le voyez bien, par-delà les espaces et par-delà les frontières du vivant et de la mort, à me tenir la main, qui continue à m’alimenter en réflexion, en bonheur et en amour, et cet amour est une lumière perpétuelle, et là, avec ce livre, j’ai essayé de toucher à quelque chose qui s’appelle l’africanité et qui rime avec l’immortalité.
12 minutes | Mar 24, 2023
Abdoulaye Bathily, émissaire de l’ONU pour la Libye: «Je négocie avec des groupes armés pour sécuriser les élections»
Dans une interview à RFI et France 24, le Sénégalais Abdoulaye Bathily, représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU en Libye, regrette que le Parlement libyen – la Chambre des représentants, basée à l’Est, et le Haut Conseil d’État, basé à Tripoli, à l’Ouest – « traîne des pieds » pour aller aux élections. M.P. : Monsieur Abdoulaye Bathily, il y a un mois, vous avez présenté au Conseil de sécurité des Nations unies une nouvelle initiative pour tenter de sortir enfin de l’impasse libyenne. Cette initiative prévoit notamment des élections présidentielle et législatives d’ici la fin de cette année 2023. On se souvient qu’en 2021, des élections devaient se tenir, mais tout a été bloqué en raison des tensions entre le camp de l‘Est et celui de l‘Ouest. Or ces tensions n’ont pas disparu, loin de là. Expliquez-nous pourquoi vous espérez que cette fois, ça va marcher ? Abdoulaye Bathily : Je pense que, cette fois-ci, il faut le dire, la plupart des acteurs libyens sont décidés à aller aux élections, veulent aller aux élections. Et en réalité, il n’y a que quelques responsables en position institutionnelle qui ne veulent pas des élections, ou tout au moins qui traînent les pieds. Et il faut créer les conditions pour que la question électorale ne reste pas entre les mains de cette minorité qui bloque, mais que la question électorale concerne l’ensemble des segments de la société. Il y a l’institution législative, la Chambre des représentants et le Haut conseil d’État qui ont en charge la partie législative. Mais il faut dire que, depuis un an, ces deux chambres n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur la base constitutionnelle et sur la base des lois électorales. Mais récemment, elles sont venues avec une proposition, c’est-à-dire l’amendement constitutionnel n°13,  sur lequel je n’ai pas d’objection majeure. Mais il faut le dire, il y a d’autres questions importantes qui restent à régler : la question par exemple des lois électorales, la question de l’éligibilité des candidats. Christophe Boisbouvier : Abdoulaye Bathily, arrêtons-nous sur ces deux assemblées législatives dont vous venez de parler et qui « trainent des pieds », comme vous dites. Elles sont rivales, l’une à l’Est, l’autre à l’Ouest. Mais elles sont toutes les deux d’accord sur un point en effet, elles ne veulent pas de votre plan. Elles vous accusent d’ingérence. Est-ce qu’elles ne cherchent pas surtout en réalité à « jouer la montre » pour empêcher toute élection afin que chaque député, chaque sénateur puisse garder son siège le plus longtemps possible ? A.B. : Il n’y a pas d’ingérence de notre part. Qu’est-ce qu’il y a de notre part ? Il y a un appel à la responsabilité, responsabilité politique, responsabilité morale, responsabilité aussi légale. Parce que ces deux chambres ont perdu leur légitimité dès lors qu’elles ont été élues respectivement en 2012 et 2014. Et depuis lors, aucune élection n’a mis en jeu leur mandat. Et par conséquent, la prolongation de cette situation intérimaire évidemment les arrange sans doute, mais n’arrange pas la majorité des Libyens qui veulent aujourd’hui, après s’être inscrits massivement sur les listes électorales, que des institutions légitimées par les urnes soient mises en place. Et aujourd’hui, il s’agit justement de faire en sorte que la question électorale soit étendue à d’autres segments de la société qui interviennent sur ce processus. C’est dans ce sens-là que, depuis quelques mois déjà, j’ai engagé les consultations et la négociation, non seulement avec les partis politiques, mais aussi les groupes de femmes, les groupes de jeunes, mais également les groupes sécuritaires. La situation sécuritaire en Libye est très préoccupante. Ce sont des institutions sécuritaires qui sont fragmentées : il y a les miliciens, il y a les groupes armés, il y a des mercenaires. Il y a toute une situation préoccupante qu’il faut aussi régler pour que les élections se tiennent. Or jusqu’ici, le débat électoral ne tient pas compte de cette dimension-là. J’ai déjà engagé, grâce au soutien du Comité militaire 5+5 [5 membres du gouvernement libyen légitime et 5 membres des forces de Khalifa Haftar, Ndlr], des pourparlers, des discussions, et même des négociations avec des groupes armés de l’Est et de l’Ouest qui sont d’accord pour participer à la sécurisation du processus électoral. Et je continue cette discussion-là. Dans les prochains jours, je vais également aller dans certains pays voisins de la Libye, à la frontière, au Soudan, au Tchad, au Niger. Un comité de liaison sous l’autorité du Comité militaire conjoint 5+5 a été mis en place. Il faudra discuter avec les autorités de ces pays également sur la question des mercenaires, sur la question des groupes armés, en particulier dans la région Sud. Donc, aujourd’hui, il s’agit de créer les conditions pour que la question électorale dépasse les rivalités, les débats internes à ces deux chambres qui ne veulent pas avancer. Il s’agit que la société libyenne, qui aujourd’hui en a marre de ces groupes de politiques qui veulent conserver leurs sièges, il s’agit que cette société libyenne puisse avoir l’occasion d’ouvrir une nouvelle perspective pour le pays. M.P. : Abdoulaye Bathily, parlons maintenant de l’exécutif. À Tripoli, le Premier ministre Abdel Hamid Dbeibah a plutôt bien accueilli votre initiative. Mais est-ce le cas de son rival Fathi Bachagha ? Et à Benghazi, est-ce que l’homme fort, le maréchal Khalifa Haftar est d’accord ? On le dit assez réservé ? A.B. : Ces derniers jours, j’ai pris contact avec tous ceux que vous venez de nommer : le Premier ministre Abdel Hamid Dbeibah à l’Ouest, le maréchal Khalifa Haftar. Et je suis en contact permanent avec ce dernier : il est pour les élections, il est pour mon initiative. J’ai pris contact avec Fathi Bachagha, l’autre Premier ministre qui est à l’Est également, il m’a dit très clairement qu’il est pour les élections. Donc, aujourd’hui, il faut le dire, la plupart des acteurs, y compris le conseil présidentiel qui a également apporté son soutien à cette initiative, vont dans le sens vraiment de sortir le pays de l’impasse. C’est ceux qui veulent perpétuer la situation actuelle, qui veulent bloquer. Mais, je dois dire que l’écrasante majorité de la population libyenne voudrait que les élections puissent se tenir et nous maintenons le cap dans ces conditions. C.B. : L’une des causes de l’annulation des élections de 2021, c’est la querelle, vous le savez bien, sur la question d’éligibilité à la présidentielle. Et pour dire les choses simplement, le camp de l’Ouest veut interdire la candidature d’un militaire et d’un binational. Or, il se trouve que l’homme fort de l’Est, le maréchal Haftar, est non seulement un militaire mais un binational, Libyen et Américain. Le Premier ministre de Tripoli, Abdel Hamid Dbeibah, vient de déclarer : « Il est inacceptable de voir revenir un régime militaire ». Est-ce qu’il n’y a pas un blocage de ce côté-là ? A.B. : Ce qui est clair, c’est que les Nations unies sont pour des élections inclusives. Dans l’état actuel de la Libye, il n’est pas acceptable que des candidats puissent être, pour des raisons politiques, écartés de l’élection présidentielle. Cela porterait un grave préjudice à l’unité territoriale du pays, cela porterait un grave préjudice à la société libyenne. Aujourd’hui, une telle prise de position nous amènerait à une situation non seulement de blocage, mais à une situation d’aggravation de la crise. Une crise qui déjà a des conséquences néfastes pour tous les pays frontaliers de la Libye. Je pense au Sahel, à tous les pays du Sahel qui subissent les conséquences de cette crise libyenne et du vide sécuritaire. La Libye est un marché d’armes à ciel ouvert, une sorte même de supermarché. M.P. : On sait que les Américains cherchent une solution en Libye. On sait que les Russes jouent aussi un rôle très important en Libye. Ils soutiennent notamment à l’Est le maréchal Haftar. Donc, en fait, pour trouver une solution, il faut quand même que les Américains et les Russes s’entendent. Or depuis un an, depuis la guerre en Ukraine, ils sont à couteaux tirés, c’est le moins qu’on puisse dire, est-ce que cela veut dire que vos efforts sont voués à l’échec, comme cela a été le cas pour tous vos prédécesseurs ? Jusqu’ici, je dois dire que le tour que j’ai fait, de tous les pays concernés par la crise libyenne, montre qu’en réalité, il y a une volonté exprimée des uns et des autres de participer à la solution de la crise. Je suis allé dans tous les pays voisins, aussi bien en Turquie, au Qatar, aux Émirats arabes unis, en Égypte, en Algérie, au Maroc, et bien entendu en Tunisie, mais également dans tous les pays européens : l’Italie, la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, la Russie, je suis allé à Moscou. Et le message que j’ai donné à tous ces pays, c’est que oui, les uns et les autres sont concernés par ce qui se passe aujourd’hui en Libye, mais il est important qu’on donne la chance au peuple libyen de forger son destin à travers des élections libres, démocratiques et transparentes. Et ce qu’on m’a répondu, c’est que, effectivement, il y a un accord sur cela parce que la prolongation de cette crise porte en germe l’aggravation de la crise non seulement en Afrique, mais également dans toute la région de la Méditerranée. Et bien entendu, il faut mettre fin à cette situation avant que la crise ne prenne de nouvelles proportions internationales. Parce que je dis que, s’il y avait une Coupe du monde en politique, la Libye serait qualifiée automatiquement, parce que beaucoup de pays sont déjà en train de jouer sur ce terrain, il faut mettre fin à ce jeu. C.B. : Merci Abdoulaye Bathily de nous avoir accordé cet entretien.
8 minutes | Mar 24, 2023
Présidentielle au Gabon: il y a «un recul démocratique», dénonce Alexandre Barro Chambrier
Cette semaine, le Premier ministre gabonais Alain-Claude Bilie-By-Nze a donné une interview à RFI et France 24 dans laquelle il évoquait notamment la présidentielle de cette année. La date n’est toujours pas fixée mais il promet la transparence. Pour lui répondre, une des figures de l’opposition gabonaise : Alexandre Barro Chambrier. Ancien ministre des Mines d’Ali Bongo, il avait claqué la porte du parti au pouvoir pour rejoindre Jean Ping et l’opposition en 2016. Entretien avec celui qui préside aujourd’hui le Rassemblement pour la patrie et la modernité (RPM). RFI : Alexandre Barro Chambrier, sur le naufrage de l’Esther Miracle, le Premier ministre Alain Claude Bilie-By-Nze, reconnaît des négligences de la marine marchande. Vous a-t-il convaincu ? Alexandre Barro Chambrier : Il est là pour tenter de donner des explications à quelque chose pour laquelle ils n’ont pas été à la hauteur. Comment expliquer que les secours ne soient arrivés que plus de 3 heures après les premières alertes pour un navire qui était à quelques encablures de Libreville ? C’est vraiment dramatique et accablant. Et ils cherchent à masquer le nombre de morts, parce qu’on nous parle de 28 morts alors qu’il y a près de 40 personnes qui sont disparues. Il faudrait plus de transparence pour dire la vérité aux familles. La date de la présidentielle n’est pas encore fixée. Mais on sait maintenant que le scrutin se jouera en un seul tour. Et vous dénoncez une manœuvre, pourquoi ? C’est une décision qui est regrettable et qui nous ramène en arrière et qui est un recul démocratique. Le pouvoir œuvre en sourdine pour la dispersion des voix entre de multiples candidats pour déclarer Ali Bongo vainqueur avec un faible score. Cette année, il n’y aura pas d’observateur de l’Union européenne. Le Premier ministre Alain-Claude Bilie-By-Nze explique qu’en 2016, « ils ont contribué à aggraver la situation par des déclarations intempestives qui ne tenaient pas compte des réalités », selon lui. Il peut raconter ce qu’il veut. Vouloir être en vase clos, c’est la preuve qu’on a des choses à cacher et qu’on n’est pas si serein que cela. Il assure que le scrutin sera transparent. Pourquoi en doutez-vous ? On ne lui fait pas confiance parce que nous ne savons toujours pas la date de cette élection. Les listes électorales ne sont pas mises à jour. Comment voulez-vous que les choses se déroulent dans un climat d’impartialité qui garantisse des élections apaisées ? Leur seule préoccupation, c’est de diviser l’opposition. Une partie de l’opposition, qui est à la leur solde, qui est entretenue par le régime, doit donner le sentiment qu’il y a une division apparente. Mais nous ne sommes pas dupes et nous n’allons pas laisser faire tout cela. Justement, dans le cadre d’un scrutin à un seul tour, le premier arrivé est élu. Cela veut dire qu’il va falloir un candidat unique soutenu par les principales forces d’opposition, cela n’a pas l’air d’en prendre vraiment le chemin en ce moment ? Il faut se méfier des apparences. Nous travaillons pour cela avec d’autres partenaires qui sont engagés en faveur du changement. Le retour au scrutin à un tour nous montre l’impérieuse nécessité du rassemblement autour d’une candidature crédible et consensuelle. Mais on voit une opposition qui n’arrive jamais à se mettre d’accord. Qu’est-ce qui peut changer ? Ce qui va changer, c’est qu’au fur et à mesure que nous allons nous rapprocher de ces élections, chacun devra prendre ses responsabilités, renoncer aux ambitions individuelles, taire les egos pour faire avancer le Gabon. Est-ce pour cela que vous n’avez pas encore officialisé votre candidature ? Nous sommes dans une logique de recherche d’une union. Donc, ce n’est pas mon avenir personnel qui est en cause. Le moment venu, nous nous prononcerons. Y a-t-il au moins un mécanisme de désignation qui est déjà prévu entre vous ? Non. Nous n’allons pas rentrer dans les détails qui pourraient créer encore d’autres réactions. C’est quelque chose que nous devons définir tous ensemble et qui soit accepté. Il faut être raisonnable et faire confiance aux femmes et aux hommes pour créer les conditions qui permettent effectivement à l’opposition non seulement de gagner, mais de faire en sorte que, contrairement au passé, que celui qui sera vainqueur puisse effectivement gouverner le pays. Tout est possible lorsqu’on a la volonté, la détermination et surtout lorsqu’on a le peuple avec nous. Et les Gabonais n’accepteront jamais que ce qui s’est passé en 2016 se reproduise en 2023. ► À écouter aussi : Alain-Claude Bilie-By-Nze, Premier ministre gabonais: «À l’élection de 2016, certains ont péché par excès de confiance»
11 minutes | Mar 21, 2023
Alain-Claude Bilie-By-Nze, Premier ministre gabonais: «À l’élection de 2016, certains ont péché par excès de confiance»
De passage à Paris, le Premier ministre gabonais a donné une interview à RFI et France 24 dans laquelle il évoque - avec un petit regard autocritique - la précédente présidentielle. Et il promet la transparence pour celle à venir, cette année. Il explique également la position du Gabon sur le conflit russo-ukrainien, après le récent vote à l'ONU sur la condamnation de l'invasion russe.   Marc Perelman : Monsieur le Premier ministre, le 9 mars l'Esther Miracle, un ferry qui reliait Libreville à Port-Gentil, a fait naufrage. Le bilan est d’au moins 24 morts. Vous avez dénoncé, je vous cite, « la négligence, les petits arrangements » et promis des « décisions dures ». Votre ministre des Transports Brice Paillat a remis sa démission, mais beaucoup au Gabon estiment qu’il faut sanctionner d’autres membres de votre gouvernement, que ce n’est pas assez… Alain-Claude Bilie-By-Nze : Monsieur Brice Paillat a remis sa démission par responsabilité politique. Ce naufrage, que nous regrettons, avec des disparitions importantes, c’est un des plus importants que notre pays a connu, a choqué le Gabon. Brice Paillat n’est pas coupable, mais responsabilité politique oblige, il a rendu sa démission. En ce qui concerne les demandes sur les autres membres du gouvernement, c’est un peu excessif. Nous verrons ce que les enquêtes vont démontrer : y a-t-il eu une faille dans les secours ? On verra bien. Manifestement, dans la gestion de la question de la marine marchande au Gabon, se posent énormément de problèmes, de négligences et quelques problèmes de manque de suivi, de rigueur dans la délivrance de certains documents. Et ce sont les premiers éléments de l’enquête administrative, nous verrons ce qu’il en sera quand cette enquête sera bouclée. M.P.: Alors Ali Bongo n’a pas caché ses ambitions pour la prochaine présidentielle qui est prévue normalement au mois d’août. Vous allez sans doute jouer un rôle central dans cette campagne. En 2016, tout le monde est d’accord, l’élection s’est mal passée : il y a eu une grave controverse, il y a eu des dizaines de morts. Et là, pour cette élection de 2023, vous avez refusé que l’Union européenne envoie des observateurs. Évidemment, cela pose une question : est-ce que ça ne va pas entacher ce scrutin ? Est-ce qu’il ne va pas y avoir de nouveau des soupçons de manque de transparence ? D’abord, le chiffre de dizaines de morts, je ne le confirme pas. Il y a un chiffre officiel au Gabon. M.P.: C’est ce que disent plusieurs organisations… Oui. Mais elles n’ont pas apporté la preuve. On ne va pas reprendre ce que disent les organisations. L’Union européenne… nous avons discuté dans le cadre du dialogue politique intensifié et nous sommes tombés d’accord. Nous avons fait le constat que les observateurs de l’Union européenne ont contribué à aggraver la situation au Gabon par des déclarations intempestives, peu mesurées, et qui ne tenaient pas compte des réalités. Nous sommes tombés d’accord pour que cette année, il n’y ait pas d’observations de l’Union européenne. Et cela n’aggravera rien du tout, parce que nous allons organiser une élection transparente. Le vainqueur sera connu. Nous espérons que le vaincu acceptera et félicitera le vainqueur. Christophe Boisbouvier : Cette année, l’élection présidentielle sera à nouveau à un seul tour. Et à la différence de 2016, où toute l’opposition était derrière Jean Ping, cette année, l’opposition risque de partir en ordre dispersé. On se souvient qu’en 2016, l’équipe du candidat-président Ali Bongo avait pêché par excès de confiance. Cette année, est-ce que vous pensez que la victoire est assurée, parce que Jean Ping, Paulette Missambo et Alexandre Barro Chambrier n’auraient aucune chance ? D’abord, il ne me revient pas de me prononcer à la place de l’opposition. Ensuite, je crois que chacun a tiré les leçons de 2016, aussi bien dans la manière de mener la campagne, dans la manière de s’organiser, mais surtout de gérer le pays… C.B.: Excès de confiance en 2016 ? Je pense qu’en 2016, effectivement, certains ont pêché par excès de confiance. Beaucoup ont pensé que c’était plié d’avance, et ce qui a rendu peut-être plus difficile la question de l’élection. Mais cette élection a eu lieu. On en a tiré toutes les leçons. On va aller à cette campagne lorsqu’elle aura lieu de manière à peser, en proposant un projet crédible que nous mettrons en œuvre si le président est élu. M.P.: Alors se pose la question de certaines personnalités politiques et syndicales qui sont derrière les barreaux en ce moment. Il y a le Franco-Gabonais Brice Laccruche Alihanga, qui était directeur de cabinet du président Bongo, il serait très malade. Il y a aussi le leader syndical Jean-Rémi Yama. Est-ce qu’un geste de clémence envers eux, et peut-être quelques autres, ne serait pas une bonne chose justement pour apaiser le climat avant les élections ? Ou est-ce que vous dites : non, c’est hors de question ? D’abord, c’est le domaine de la justice, et vous le savez bien. Personne n’a idée en France de demander au président français ce qu’il pense de la situation de tel ou tel autre prisonnier. Brice Laccruche Alihanga, à ma connaissance, n’est pas un prisonnier d’opinion. S’il l’était, on saurait quelle est son opinion. Il me semble qu’il ne faut pas oublier les choses qui lui sont reprochées. Mais ce n’est pas de mon domaine de commenter ce qui relève de la justice. Quant au syndicaliste Jean-Rémi Yama, vous savez très bien qu’il y a des plaintes qui ont été déposées contre lui au pénal par des citoyens gabonais qui se sont plaints d’avoir été spoliés, escroqués. Donc, ce sont des domaines, des éléments qui relèvent de la justice. M.P.: Un geste humanitaire ? Dans ces conditions, c’est une démarche des avocats vis-à-vis de la justice gabonaise et la justice se prononcera. C.B. : En février 2023, lors du dernier vote aux Nations unies sur la guerre en Ukraine, le Gabon s’est abstenu de condamner l’agression de ce pays par la Russie. Est-à-dire qu’à vos yeux, la violation de l’intégrité territoriale de l’Ukraine compte moins que votre partenariat stratégique avec la Russie ? D’abord, il est juste de rappeler que le Gabon a clairement condamné la violation du droit international et que, par la suite, le Gabon a estimé qu’il a aux Nations unies un rôle à jouer. Il a aussi des intérêts stratégiques à préserver. On ne va pas commencer à demander à chaque État de justifier son vote aux Nations unies. Personne ne le fait pour les pays occidentaux. Donc, permettez que les Africains fassent des choix en fonction de leurs propres ambitions.
5 minutes | Mar 21, 2023
Libération d'Olivier Dubois: «Il avait toutes les qualités pour traverser ce genre d'épreuve»
Le journaliste enlevé à Gao dans le nord du Mali, en avril 2021, a passé presque deux années en captivité. Il est apparu souriant et libre hier, lundi 20 mars, en début d'après-midi à l'aéroport de Niamey, la capitale du Niger voisin. Amélie Tulet a pu joindre Marc De Boni, porte-parole du comité de soutien pour la libération du journaliste, quelques minutes après qu'il a appris la libération de celui-ci.  Marc de Boni : Je me sens entre deux mondes, c’est assez particulier parce que c’est une croisade dans laquelle on s’engage corps et âme sans perspective de fin, sans même la promesse d’une issue heureuse. Et on est tellement et intégralement tendus vers l’objectif du retour de la personne qui nous a été enlevée que, quand cela arrive, on perd ses moyens. Je ne vous cache pas que j’ai passé une bonne demi-heure d’abord à pleurer, puis à essayer de récupérer mes esprits. RFI : Qu’est-ce qu’il ressort de ces deux ans de « croisade », presque deux années ? L’immense force et l’immense courage de Déborah, qui est la compagne d’Olivier, la mère de ses enfants, qui a été un phare pour nous, qui a été une source d’inspiration et qui a accompli littéralement des miracles par amour pour Olivier. On a su à plusieurs reprises que tout ce qu’on a pu faire ici à Paris, Olivier en avait vent et que ça a changé des choses pour lui. J’espère qu’il pourra nous raconter plus avant tout ça. Pour ce genre de bataille absolument désespérée, on se sent totalement démunis. On ne sait pas du tout si les efforts portent. Et bien, oui, les efforts portent, les personnes en otage entendent, elles savent qu’on se mobilise pour eux. On sait que beaucoup de personnes sont malheureusement dans la même situation et qu’on n’en parle pas assez. J’espère que ça leur redonne un peu d’espoir. Est-ce que vous avez eu des moments d’abattement, de désespoir ? Il y a eu pas mal de moments d’abattement, il y a eu beaucoup de montagnes russes, plusieurs moments où on a cru que c’était sur le point de se faire. Il y a plein de choses qui seront racontées (…) et qu’il ne m’appartient pas forcément de dévoiler parce que c’est le secret de la diplomatie et de ce genre d’affaires compliquées. Mais oui, il y a eu des moments d’abattement. Et il faut aussi tenir sur le temps long. Au début, il y a 150-200 personnes qui sont très motivées et qui se mobilisent. Puis, à la fin, on est quelques-uns, dont certains qui n’ont jamais connu Olivier, ça c’est vraiment incroyable, c’est vraiment très beau aussi de voir comment toute une partie du comité [de soutien pour la libération de Olivier Dubois] sont des gens qui n’avaient aucun lien avec Olivier, qui ne l’ont jamais rencontré, et qui se sont donnés nuit et jour à Paris, à Metz, en Martinique pour porter ce combat et plaider sa cause. Et ça, c’est vraiment quelque chose de magnifique et que je retiendrai. Est-ce qu’il y a eu des signaux qui ont fait monter l’espoir ces derniers jours ou ces dernières semaines ? On a eu tellement de montagnes russes au cours de ces deux ans qu’on apprend à se blinder et aussi à se méfier des signaux faibles. Il y avait en effet des signaux faibles qui portaient à être optimistes. Maintenant, moi personnellement, j’étais surtout prudent. C’est une excellente nouvelle, à laquelle je ne m’attendais pas. Moi, j’étais dans l’idée de continuer le combat le temps qu’il faut et de n’arrêter que quand j’aurais la preuve sous les yeux, qu’Olivier va bien, qu’il nous revient. Je ne pensais pas que ce serait aujourd’hui pour être honnête. Vous avez donc beaucoup pensé à lui pendant ces deux ans. Qu’est-ce qui vous préoccupait le plus ? Ce qui me préoccupait le plus, c’était que la géopolitique écrase l’histoire personnelle et son cas individuel. Ce qui m’a inquiété, c’est effectivement tout ce qui s’est passé quand d’abord le Mali et la France ont rompu les communications. Ça a été un coup difficile, le départ aussi de la force française. Forcément, il y avait quelque chose de l’ordre du rassurant d’imaginer que nos soldats n’étaient pas trop loin en cas de besoin. Ça a été des passages plus difficiles.  Et là, vous avez vu les images d’Olivier Dubois à l’aéroport de Niamey ? Oui. Je les ai regardées en direct sur Twitter. Vos confrères de Radio France m’ont fait entendre ses premières paroles en direct. On a du mal à y croire. Je ne sais pas quoi vous dire, à part de c’est beau et que ça m’a fait longuement pleurer. Vous l’avez reconnu ? Il est comme avant ? Il a le même sourire. Je n’ai jamais douté qu’il a toutes les qualités pour traverser ce genre d’épreuves. C’est quelqu’un qui est plein d’énergie, qui est très humain, qui est toujours dans la proximité. On retrouve cette étincelle d’enfant dans son regard. Et ça m’a inquiété qu’elle puisse avoir été éteinte. ( …) Il nous racontera le détail. Je ne doute pas qu’il a su tirer son épingle du jeu et se faire bien accueillir malgré les conditions très particulières dans lesquelles il a été, survivre et nous revenir, avec un sourire.
11 minutes | Mar 20, 2023
Ousmane Gaoual Diallo, ministre guinéen: «Le président Doumbouya ne sera pas candidat à la prochaine élection présidentielle»
En Guinée, le colonel Doumbouya -qui a pris le pouvoir il y a 18 mois- promet de le rendre aux civils dans un peu moins de deux ans. Mais l’opposition est sceptique, car plusieurs de ses cadres sont en prison et ses deux leaders vivent en exil. N’est-ce pas en effet de mauvais augure pour la suite de la transition ? Ousmane Gaoual Diallo, porte-parole du gouvernement guinéen et ministre des Postes, des Télécommunications et de l’Économie numérique, de passage à Paris, est notre invité. RFI : Le 21 février, devant le Parlement de transition, le président de transition, le colonel Doumbouya, a annoncé qu’il quittera le pouvoir à la fin de la transition, c’est-à-dire à la fin de l’année prochaine. Est-ce à dire qu’il ne sera pas candidat à la prochaine élection présidentielle ? Ousmane Gaoual Diallo : Non seulement il ne sera pas candidat, il l’a affirmé au moment de l’élaboration du chronogramme, mais il l’a répété aussi quand le besoin s’est fait sentir. C’est un engagement qu’il a pris devant la population guinéenne. Selon plusieurs sources, il y a eu au moins deux morts le 16 février à Conakry, à la suite de la répression brutale d’une manifestation par l’armée. N’est-ce pas de mauvais augure pour la suite de la transition et pour le retour des civils à la fin de l’année prochaine ? Le gouvernement déplore systématiquement les violences qui entrainent des victimes, mais prend aussi des dispositions, c’est quelque chose qu’il faut noter, pour que les auteurs de ces violences puissent être traduits devant les juridictions de ce pays. Il faut aussi rappeler que les premiers accusés d’assassinats de manifestants sont actuellement en procès devant les tribunaux de Conakry, et c’est déjà une première avancée. L’usage des armes de guerre dans les manifestations est prohibé et c’est pour cette raison que les auteurs de ces utilisations d’armes de guerre sont arrêtés et sont traduits devant les juridictions. Le 17 février dernier, monsieur le ministre, votre gouvernement a menacé d’interdire les principaux partis politiques du pays suite à un appel à une manifestation. Alors vous avez déjà interdit les manifestations, vous avez dissous le Front national pour la défense de la Constitution, le FNDC, est-ce qu’on peut encore parler de transition démocratique en Guinée ? La réalité, c’est que les manifestations ne sont pas interdites sur l’ensemble du territoire national. Elles sont interdites sur une partie du territoire, notamment sur les axes qui donnent lieu à beaucoup de violences. Pour le reste, les partis politiques continuent d’agir, continuent de maintenir leurs activités en critiquant l’actualité, en échangeant avec leurs membres, donc il n’y a pas eu de menace de dire qu’on va dissoudre les partis politiques. Cependant, les partis politiques, lorsqu’il y a des déviations par rapport à la loi, lorsqu’il y a violation de la Charte, il va sans dire qu’il y a des sanctions qui sont prévues. Alors, vous appelez au dialogue avec tous les partis, et notamment l’opposition, mais avec qui dialoguer si plusieurs figures de l’opposition et de la société civile sont en prison ? Je pense bien sûr à Foniké Menguè et à Ibrahima Diallo, du FNDC, le Front national pour la défense de la Constitution, et je pense à Saikou Yaya Barry, de l’UFR… Déjà, ils ne sont pas poursuivis pour des actions politiques qu’ils mènent. En tout état de cause, le dialogue n’est pas entre des individus et l’État, le dialogue est entre les institutions. Ce sont les organisations que les uns et les autres représentent qui sont invitées autour du dialogue. Donc on peut, bien entendu, avoir un certain nombre d’acteurs politiques qui ont maille à partir avec la justice, mais [faire en sorte] que le dialogue soit maintenu parce que les partis politiques, les organisations de la société civile, ne se limitent pas à des individus. Oui, mais voilà déjà près de huit mois que ces trois personnalités, Foniké Menguè, Ibrahima Diallo et Saikou Yaya Barry, sont en prison. Est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux les libérer pour décrisper la situation et pour amorcer ce dialogue ? Le processus judiciaire se poursuit. Il me semble que le ministre de la Justice a été clair là-dessus. Toutes les dispositions sont prises pour que la justice puisse travailler dans la sérénité et rapidement pour juger ces personnes qui sont incriminées. Le dialogue avec les partis de l’opposition et les organisations de la société civile, c’est pour quand ? Le dialogue est en cours. Ils sont tous invités à prendre part au dialogue qui est soutenu et suivi par le Premier ministre, donc c’est une ouverture qui est là et que nous maintenons malgré tout. Mais concrètement, Cellou Dalein Diallo et Sydia Touré, les deux principales figures de l’opposition, ne sont plus dans votre pays actuellement, ils sont en exil. Est-ce qu’ils peuvent rentrer au pays sans être poursuivis ? Ils peuvent rentrer au pays sans aucun problème. D’ailleurs, Sydia [Touré] ne fait l’objet d’aucune poursuite judiciaire dans le pays, donc je ne vois pas pourquoi il ne pourrait pas rentrer s’il le souhaite. Cellou [Dalein Diallo]est convoqué devant une juridiction, encore qu’il ne soit pas le seul responsable convoqué dans cette affaire, les autres protagonistes mis en examen dans ce dossier sont à Conakry et personne n’est incarcéré, donc je ne vois pas en quoi il pourrait refuser de rentrer au pays. Mais n’est-il pas difficile de dialoguer avec le numéro un de l’opposition, Cellou Dalein Diallo, si celui-ci est poursuivi par la justice ? Peut-on, pour autant, garantir une certaine impunité simplement parce qu’on est le chef de file de l’opposition, ou bien on peut renforcer l’appareil judiciaire aux yeux de l’opinion guinéenne et que chacun se prête au jeu d’aller faire face à la justice, si ceci est nécessaire. Ne faut-il pas faire un geste à l’égard de Cellou Dalein Diallo pour que le dialogue reprenne ? Le dialogue doit pouvoir statuer sur ces questions. Suite à une rencontre, le 9 février dernier, entre les ministres des Affaires étrangères de la Guinée, du Mali et du Burkina Faso, a été émise l’idée de créer une fédération entre vos trois pays. Où en est-on de ce projet ? Il n’a pas été question dans le communiqué de créer une fédération, mais un renforcement de la coopération. Je pense qu’il est de la responsabilité aussi des gouvernants d’aller rechercher des formes de coopération avec les pays voisins, avec les pays tiers, et c’est ce qui est en train d’être fait par les autorités de la transition. En tout cas, la fédération, c’est le souhait exprimé publiquement par le Premier ministre burkinabè, Apollinaire Joachim Kyelem de Tambela… Je ne commente pas ces commentaires du Premier ministre burkinabè. Je sais que la Guinée allait chercher un renforcement de coopération avec ces pays, ce sera tant mieux pour nos économies.
6 minutes | Mar 19, 2023
La nuit de Christophe Boltanski à l'Africa Museum: «Il faut expliquer au visiteur comment ces pièces ont été acquises»
Alors qu’un nouveau directeur, Bart Ouvry, vient d’être nommé à la tête de l’Africa Museum de Tervuren, près de Bruxelles, notre invité est Christophe Boltanski. Le journaliste et écrivain français a récemment publié un récit, King Kasaï, inspiré par sa nuit passée dans cet ancien musée du Congo belge totalement réaménagé.  RFI : Votre récit s’intitule King Kasaï, c’est le surnom de l’éléphant empaillé dans les années 50 qui trône toujours dans ce qui est devenu l’AfricaMuseum. Comment vous est venue l’envie de passer une nuit dans ce musée ? Christophe Boltanski : Ce musée, je l’avais découvert dix ans plus tôt, à l’occasion d’un autre livre intitulé Minerais de sang. Je m’étais rendu dans ce musée parce que les Belges, au moment de l’indépendance, ont tout emmené avec eux, toute la mémoire de ce pays, y compris les archives minières. Et j’avais découvert un lieu absolument stupéfiant, un musée colonial, qui n’avait quasiment pas changé depuis son inauguration en 1910. Et donc, quand j’ai appris que ce musée avait été fermé pour être officiellement décolonisé, je me suis demandé : mais comment on fait pour décoloniser un musée colonial ?  Je me suis retrouvé dans un lieu qui était plongé totalement dans l’obscurité, et la première chose que j’ai vu, c’était, avant même de rentrer dans ce musée, les tombes vides de sept Congolais morts en 1897 lors d’une exposition universelle. L’origine de ce musée, c’est d’abord ce zoo humain, des villages qui ont été recréés dans le parc. De très nombreux Congolais sont tombés malades et sept d’entre eux sont morts de pneumonie et ce sont leurs tombes que l’on voit adossées à cette église. Vous convoquez les récits de Joseph Conrad, mais aussi d’Hergé. Selon vous, il s’est particulièrement inspiré de ses visites au musée de Tervuren… Oui, d’abord Conrad, parce qu’il y a ce roman qui m’accompagnait dans cette nuit, qui s’appelle Au cœur des ténèbres, c’est un homme qui remonte le fleuve Congo à la recherche d’un chef de station qui est devenu fou, qui s’appelle Kurtz. Et moi, j’ai eu ce sentiment également de faire un voyage dans ce musée, je le raconte effectivement comme une sorte d’exploration dans les tréfonds de notre mémoire. Et également, quand vous rentrez dans ce musée, la première chose que vous découvrez, c'est un cimetière de statues. C’est-à-dire que le musée a essayé de déplacer les statues les plus choquantes, et parmi elles, il y a une statue qui s’appelle « L’homme-léopard », qui est particulièrement effrayante, et qui a inspiré Hergé pour son premier album, les Aventures de Tintin au Congo. Hergé ne s’est pas rendu au Congo, pas plus que le roi Léopold II qui est à l’origine de ce musée, mais il s’est rendu au musée de Tervuren. Il a donc dessiné les pirogues, les masques, les animaux, etc… En fait, cet album pourrait même s’appeler les Aventures de Tintin à Tervuren. J’ai compris, en voyant cette statue, que je ne visitais pas le Congo, évidemment, dans ce musée, mais que je visitais tous les stéréotypes et tous les clichés que l’on a accolés à cette partie du monde. Vous décrivez comment l’AfricaMuseum a été repensé, mais vous n'êtes pas convaincu par cette nouvelle mise en scène dans le musée. Est-ce qu'un musée bâti à la gloire de la colonisation peut réellement faire sa mue ? C’est presque impossible. Déjà, Léopold II est présent absolument partout dans ce musée. Son monogramme, qui est représenté par un double L, est gravé sur les murs, sur les plafonds, à 45 reprises. Et en plus, vous avez les statues les plus choquantes, qui sont des allégories représentant la Belgique apportant la civilisation et la foi chrétienne à de bons sauvages, et qui, parce que ces allégories sont situées dans des alvéoles, qu’elles font partie des murs et que le bâtiment est classé, ne pouvaient pas être déplacées. Donc on a essayé d’abord de faire contrepoids avec des œuvres contemporaines, puis on les a masquées par des voiles. Je trouve que c’est assez représentatif de toutes les gênes, de tous les dénis que l’on a à regarder cette histoire.  Au départ, les responsables du musée souhaitaient qu’il n’y ait même pas de salle historique sur le passé colonial de la Belgique. De nombreuses voix se sont élevées pour dire que ce n’était pas possible, qu’il fallait absolument qu’il y ait un espace qui lui soit dédié. Donc il y a une petite salle qui lui est impartie, mais qui est assez frustrante, parce que finalement, il n’y a pas grand-chose, et les pièces à conviction, parce qu’on parle quand même de crimes, on parle de ces sociétés concessionnaires qui ont obligé les populations à ramener du caoutchouc, et ceux qui ne pouvaient pas ramener leur quota étaient tués, et pour s’assurer que les balles avaient été bien utilisées, il fallait que les sentinelles coupent la main de leurs victimes. Et donc, on a ces photos qui ont été prises par une missionnaire anglaise qui sont absolument terrifiantes. Elles sont présentes, mais il faut vraiment les chercher. Il faut appuyer sur des écrans tactiles, elles apparaissent mais en tout petit, alors qu’elles devraient être au cœur de cette salle dans la mesure où des historiens estiment qu’il y avait sans doute vingt millions d’habitants en 1885, au moment de la colonisation, et que 25 ans plus tard, ils étaient moitié moins.   L’AfricaMuseum, ce sont aussi des dizaines de milliers de masques, statuettes, boucliers, objets rituels, dont beaucoup ont été pillés au Congo. Faut-il accélérer leur restitution aujourd’hui ?    La première chose qu’il faut faire d’abord, je pense, c’est expliquer aux visiteurs comment ces pièces ont été acquises. Quand moi, j’ai passé cette nuit, il y a une fameuse statue, ce qu’on appelle un fétiche à clous. Sur le cartel il était indiqué que ce fétiche à clous avait été collecté par un certain Alexandre Delcommune. Il s’agit d’un aventurier qui en fait ne l’a pas collecté : il a attaqué un village et il a compris que cette statue avait du pouvoir, et donc il s’est emparé de cette statue comme on prend un otage. Quand je suis retourné pour la sortie de ce livre, j’ai vu qu’ils avaient changé le cartel : maintenant le mot qui est utilisé, c'est « seized », donc ça a été « saisi ». On voit qu’il y a du progrès, mais on est encore loin de la réalité. Ensuite, la question de la restitution : je pense que les Belges sont beaucoup plus en avance que les Français. Il y a tout un travail justement pour identifier l’origine de ces pièces et les négociations qui sont très bien engagées avec la République démocratique du Congo. Je crois qu’en France, on est encore très très loin de cela, mais en tout cas cette question-là, on ne pourra pas y échapper.
5 minutes | Mar 17, 2023
Terrorisme, relations avec les États-Unis et la France, Wagner : ce qu'en dit le ministre des Affaires étrangères du Niger
Le secrétaire d'État américain Antony Blinken multiplie les visites sur le continent Africain. Jeudi 16 mars, il était à Niamey, au Niger, où il s'est entretenu avec le président Mohamed Bazoum. Il a été question de coopération économique et militaire dans ce pays du Sahel, région en proie à la violence jihadiste et où la Russie marque des points. Le ministre nigérien des Affaires étrangères Hassoumi Massaoudou est notre invité. Il est au micro d'Alexandra Brangeon.   RFI : Jeudi 16 mars, Antony Blinken était en visite au Niger, c’était la première visite d’un secrétaire d’État américain en plus de quarante ans dans votre pays. Comment vous l’interprétez ? Hassoumi Massaoudou : C’est vraiment un témoignage que nous recevons comme un témoignage de solidarité, d’amitié et de considération pour notre pays. Et cela prouve la qualité exceptionnelle de la relation que nous avons avec les États-Unis. Antony Blinken a d’ailleurs qualifié le Niger de modèle dans la région… Évidemment, nous sommes un pays qui est démocratique, stable, dans un environnement chaotique. Et nous faisons chaque jour preuve d’une grande résilience face à l’agression terroriste, à la dégradation de la situation sécuritaire dans le Sahel. Malheureusement, nous sommes les seuls et nous aurions souhaité ne pas être les seuls, ce qui nous donne des responsabilités supplémentaires, parce que nous devons prouverque seul le modèle démocratique est l’alternative crédible pour pouvoir vaincre le terrorisme. Il a été question, lors de cette rencontre, de coopération militaire justement, pour lutter contre le terrorisme. Les Américains sont déjà présents au Niger. Est-ce qu’il est prévu un renforcement de cette coopération militaire ? D’abord, nous avons cette coopération militaire de manière assez ancienne avec les États-Unis, mais elle est montée en puissance ces dernières années. Les États-Unis qui, effectivement, à travers leur implantation dans la base aérienne d’Agadez, nous donnent une aide importante en matière de renseignements, pas à nous seulement mais à tous nos partenaires de la région. Deuxièmement, les États-Unis forment nos bataillons des forces spéciales. C’est les premiers à avoir fait ce type de formations et à avoir donné l’exemple aux autres sur la nécessité de transformer notre armée par la multiplication des bataillons des forces spéciales qui ont fait leurs preuves sur le terrain. Et troisièmement, les Américains nous donnent des équipements sur le plan aérien – des C-30, des Cessna –, du renseignement, des moyens blindés, des véhicules blindés et tout ça. La participation des Américains à cette guerre est une aide inestimable pour nos soldats. Alors justement, est-ce qu’il est question de plus de moyens déployés par les Américains ? Oui, il est toujours question de plus de moyens bien sûr, aussi bien sur le plan militaire que sur le plan civil. Mais je voudrais signaler qu’à ce jour, l’engagement américain sur les trois dernières années dépasse les 1 000 milliards de francs CFA, et ça ne fait que monter en puissance. Donc, les Américains s’inscrivent dans la durée de la coopération avec notre pays, aussi bien sur le plan militaire que civil. Alors jusqu’à présent, la menace terroriste était concentrée à la frontière avec le Mali, elle s’est propagée à toute la frontière avec le Burkina Faso et le Bénin. Est-ce que cette coopération sécuritaire avec les Américains va s’étendre à cette nouvelle zone ? Mais la menace terroriste, nous savons très bien qu’elle va s’intensifier avec le départ des Français au nord Mali et, avec l’effondrement du front au niveau du Burkina Faso, il va de soit que cette menace est étendue, mais de manière moins importante à la frontière du Burkina. La coopération avec les États-Unis au-delà de la sécurité, elle se fait à notre demande, quelle que soit la zone, quel que soit l’endroit. Mais avec les États-Unis, nous avons une conception holistique de cette guerre, elle ne se limite pas à l’aspect militaire, il y a eu une montée en puissance de l’aide américaine à travers le retour d’abord de l’USAID et la montée des investissements. Tout cela participe en réalité de la volonté de renforcer la résilience de notre pays face au choc terroriste et au choc climatique.   ► À lire aussi : Sahel, Corne de l'Afrique...: comment la présence militaire américaine peut-elle évoluer? L’administration américaine a indiqué qu’elle souhaitait s’engager davantage sur le continent pour y contrer l’influence de la Russie. Est-ce que vous avez discuté avec Antony Blinken de l’avancée de la milice paramilitaire Wagner dans la sous-région ? Nous avons discuté de manière générale des questions du recul démocratique dans notre sous-région et, partageant ces mêmes valeurs avec les États-Unis, nous nous organisons pour que le soutien à l’expérience nigérienne fasse école et qu’elle soit un modèle et qu’elle se démultiplie en Afrique. Donc résister contre le recul démocratique dans notre région, c’est faire en sorte que, par notre exemple, nous puissions faire valoir le développement et l’avancée démocratique dans notre région et en Afrique. Depuis le putsch au Burkina Faso, plusieurs pays de la sous-région craignent l’arrivée de Wagner à Ouagadougou. Est-ce que vous en avez parlé avec votre homologue ? Nous considérons tous que Wagner est une organisation criminelle qui participe au recul de la démocratie dans notre pays, donc par conséquent, évidemment nous en avons parlé. En ce qui concerne le Burkina Faso, rien n’est prouvé jusqu’ici qu’ils ont eu un accord avec Wagner. Nous espérons qu’ils ne prendront pas cette trajectoire et qu’ils s’en tiendront au plan de sortie de la transition signé avec la Cédéao. Le président français, Emmanuel Macron, a indiqué qu’il fallait que la présence militaire française soit moins visible dans cette lutte antiterroriste. Est-ce que la France est toujours un allié solide, ou est-ce que les Américains sont en train de prendre la place des Français ? Les Américains et les Français ont toujours été nos alliés en même temps, ce sont des alliés importants, tout aussi indispensables et nécessaires les uns que les autres. Je vais vous dire une chose, c’est que cette guerre, c’est d’abord nous qui la menons. Qu’il s’agisse des Français ou des Américains, ils nous aident dans la guerre que nous menons, ils ne font pas la guerre à notre place. Ces différents partenaires, aussi essentiels soient-ils, ne sont qu’un appoint pour nous dans cette guerre. ►  À l'issue de cette rencontre Washington a annoncé une nouvelle aide humanitaire à la région, dont le Niger, d'un montant de 150 millions de dollars.
11 minutes | Mar 16, 2023
Daniel Ona Ondo: «Une bonne gestion de nos devises peut nous dispenser de la garantie du Trésor français»
Les six pays de la zone CFA d'Afrique centrale sont désormais capables de se dispenser de la garantie du Trésor français et de rapatrier toutes leurs réserves de change, comme l'ont fait récemment les huit pays de la zone CFA d'Afrique de l'Ouest. C'est ce qu'affirme le Gabonais Ona Ondo Daniel, qui préside depuis plus de cinq ans la commission de la CEMAC (Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale). À la veille du sommet des six chefs d'États de la CEMAC, jeudi 16 mars à Yaoundé, l'ancien Premier ministre répond aux questions de Christophe Boisbouvier. RFI : Ona Ondo Daniel, l’une des priorités de la Cemac, c’est de favoriser l’intégration économique entre vos six pays. De ce point de vue, quel est votre bilan ? Ona Ondo Daniel : Je crois que, dans la tradition de ma tribu, on ne fait jamais le bilan parce qu’on ne se glorifie pas. Mais qu’à cela ne tienne, la première réussite que nous avons, c’est la libre circulation des personnes et des biens. Vous savez qu’on disait qu’il y avait une réticence des pays à faire un passeport biométrique Cemac. Je peux vous dire qu’aujourd’hui les six pays ont des passeports biométriques Cemac. Nous avons ensuite essayé de relancer le programme économique et régional, ce qui a été fait. La bourse des valeurs a été modifiée. Vous savez, il y avait une bourse des valeurs à Libreville, et une à Douala. Aujourd’hui, les bourses sont unifiées. Donc je pense que ce sont des actions qui vont dans le cadre de l’intégration. La libre circulation est importante. C’est vrai que ce n’est pas le nirvana de circuler en Afrique centrale. Le commerce interafricain en Afrique centrale est encore faible – moins de 5% –, mais on a fait des efforts pour faire en sorte que la libre circulation soit effective dans les principaux corridors de notre région. Oui, mais que répondez-vous à ceux qui disent que rien n’a été fait sur le plan de l’interconnexion routière entre vos six pays ? Des efforts sont faits. Vous savez, Paris ne s’est pas fait en un jour. Il ne peut en être autrement pour l’Afrique centrale. Les infrastructures routières, dans le portefeuille des projets intégrateurs que nous avons faits à Paris, il y a des corridors qui ont eu des financements importants. Le corridor entre Yaoundé et N’Djamena et d’autres corridors entre le Cameroun et Brazzaville, un corridor entre Libreville et Brazzaville. Donc, on est en train de construire une intégration sous-régionale. On ne peut pas faire des routes en un claquement de doigts. Ce sont des choses qui se font avec du temps. Et l’interconnexion électrique entre vos six pays, ça ne marche pas encore… On est en train de faire l’interconnexion électrique. Vous savez, nous avons eu des financements importants de la Banque mondiale pour interconnecter le Cameroun et le Tchad. Et au niveau de l’Afrique centrale, entre le Gabon et la Guinée équatoriale, nous avons travaillé avec le pôle énergétique d’Afrique centrale, qui est l’interconnexion entre la Guinée équatoriale et le Gabon, entre Mongomo et Oyem, entre Ebebiyín et Bitam, et entre Akurenam et Médouneu. À l’heure actuelle, la monnaie commune de la Cemac, c’est le franc CFA. À la différence de la sous-région d’Afrique de l’Ouest, l’Uemoa, il y a toujours des réserves de change de francs CFA auprès de la Banque de France. Quand est-ce que vous allez réformer votre franc pour que ces réserves soient rapatriées dans la sous-région ? Les chefs d’État ont donné mandat à la commission de la Cemac et à la Banque des États d’Afrique centrale, donc au gouverneur, de faire des propositions sur les réformes de la coopération entre la France et les pays d’Afrique centrale. Nous avons fait des propositions qui ont été présentées aux chefs d’État, et à la prochaine conférence des chefs d’État, ceux-ci vont encore examiner ces propositions. Mais pour l’heure, le compte d’opérations effectivement est toujours au niveau du Trésor français. Mais, à terme, je crois que c’est parmi les points de réforme qui sont envisagés. Battre la monnaie est un problème de souveraineté, je crois qu’à terme, nous allons disposer de nos réserves comme nous le souhaitons. Est-ce que votre organisation monétaire est assez solide pour pouvoir rapatrier toutes les réserves de change dans la sous-région, et pouvoir vous passer de la Banque de France ?  Vous savez, c’est une bonne question. Il y a des pays qui sont plus petits qui ont une monnaie. Donc, je vous dis, battre la monnaie, c’est un problème de souveraineté, c’est à nous d’en décider. Si nous disons que nous voulons avoir nos réserves de change et nous passer de la Banque de France, on peut le faire. Mais il y a une chose que je veux vous dire : le compte d’opérations, c’est quoi ? C’est une garantie de la France. Cette garantie, d’après les économistes, n’a pas beaucoup joué. Donc, cela garantit que, si jamais le compte d’opérations est débiteur, la France nous donne la possibilité de pouvoir importer. Mais dans le cas d’espèce, cette garantie n’a pas beaucoup joué. Donc je pense que, si nous faisons une bonne gestion de nos devises, nous pouvons effectivement assumer cette responsabilité. C’est d’autant plus vrai qu’en Afrique de l’Ouest, ils gèrent leur devise et, à ma connaissance, il n’y a pas eu de problèmes jusqu’à présent. Depuis un an, la Centrafrique a adopté une nouvelle monnaie, le bitcoin, qui est une cryptomonnaie. Or, dans vos statuts, il est prévu que le franc CFA est la monnaie unique pour tous les États membres de la Cemac. Est-ce que la cohabitation est possible entre le bitcoin et le franc CFA ? Je peux vous dire une chose : ce dossier est inscrit à l’ordre du jour de la conférence des chefs d’État. C’est vrai que le problème de battre la monnaie, c’est un problème de souveraineté. La République centrafricaine, c’est un pays souverain. La République centrafricaine a décidé d’adopter la cryptomonnaie, c’est son droit le plus absolu. Mais la République centrafricaine fait partie d’une zone monétaire. Donc il est évident que les chefs d’État vont voir à ce que la seule monnaie qui a cours légal et pouvoir libératoire sur les six pays, c’est le franc CFA. Il appartient à un moment donné que la situation soit éclaircie au niveau des chefs d’État. Nous attendons la décision des chefs d’État. Mais n’est-ce pas un problème tout de même, monsieur le président, qu’un des six pays ne respecte pas les règles communes ? Jusqu’à présent, cela n’a posé aucun problème. Et je crois qu’aujourd’hui, le franc CFA continue de circuler à Bangui. Je reviens de Bangui et je n’ai pas vu de cryptomonnaie en circulation à Bangui. Le président actuel de la conférence des chefs d’État de la Cemac, c’est le Camerounais Paul Biya. Selon la règle et selon l’ordre alphabétique, après le Cameroun vient la Centrafrique. Est-ce à dire que le prochain président de la conférence des chefs d’État de la Cemac, ce sera le Centrafricain Faustin-Archange Touadéra ? C’est un problème qui sera débattu au niveau des chefs d’État. Je ne pense pas que ça pose problème que le président Touadéra soit le prochain président de la conférence des chefs d’État.
5 minutes | Mar 14, 2023
Gabon: «Je vis un traumatisme qui ne dit pas son nom», raconte un rescapé de l'«Esther Miracle»
Au Gabon, le président Ali Bongo a décrété le 13 mars 2023 un deuil national de trois jours. Décision prise quatre jours après le naufrage du navire Esther Miracle. Tous les drapeaux seront mis en berne. Les activités festives et sportives sont suspendues. Le ferry reliait Libreville à Port-Gentil, lorsqu'il a sombré dans la nuit du 8 au 9 mars. 124 personnes ont été secourues. Mais le dernier bilan s'élève à 6 morts et 31 disparus. Des moyens importants sont toujours déployés pour tenter de retrouver ceux qui manquent à l'appel. Ce drame a choqué le Gabon. Une catastrophe racontée en détail par l'un des survivants du naufrage. Jean-Jacques Mendome Ayang est l'un des responsables de l'Académie Club de Libreville. Il devait se rendre avec son équipe de football à Port-Gentil. Il raconte le naufrage à Sébastien Németh.   RFI : Comment a commencé le naufrage de l’Esther Miracle ? Jean-Jacques Mendome Ayang : Autour de 3h30, le gendarme qui était à bord du bateau, qui servait de commandant de bord, il vient nous dire que le bateau a quelques soucis, donc nous sommes obligés d'aller doucement pour relier Port-Gentil. On a dit « bon y a, pas de souci », quelques temps après le monsieur est revenu pour nous annoncer que parmi les deux moteurs qui font tourner le bateau, il y a un qui s'est arrêté donc il est impossible d'avancer, c'est mieux de repartir sur Libreville. C’est à partir de ce moment que tout le monde était quand même inquiet. Quelque 5 ou 10 minutes plus tard, bon il y a une hôtesse qui est arrivé nous dire : « Bon, écoutez, on va vous montrer comment il faut porter des gilets de sauvetage. » C'est à ce moment-là qu'on a senti qu’il se passait quelque chose. Tout le monde s'est agité et le bateau allait d'un côté déjà. Là, c'était du sauve-qui-peut. J'avais une porte devant moi, je n'ai pas eu la force de la casser. On a soulevé les rideaux qu'on met autour du bateau, là, on s’est rendu compte qu’il y avait des baies vitrées, je suis sorti par là, et puis j’ai vu tout le mouvement que le bateau était en train de faire, il coulait vraiment à pas de tortue, ça penchait de plus en plus. En moi, il y avait quelque chose qui me disait de ne pas paniquer, il fallait affronter le danger. C’est juste après que le bateau s'est complètement renversé, le bas du bateau s'est retrouvé à la surface de l'eau. Dans quelles conditions avez-vous survécu une fois sorti du bateau ? Il y avait une vieille roue qui était attachée là, donc je m’étais accroché à cette vieille roue là, jusqu’à ce que le bateau s'est complètement renversé, il a laissé quand même une partie en surface, c’est sur cette partie-là que nous sommes allés. Nous sommes restés là à sept parce qu’il fallait sauver celui qui se noyait. On avait le président de notre équipe qui se noyait vraiment, il s’est beaucoup battu, parce qu’il a pris beaucoup de coups dans l'eau, mais il a tenu parce que nous lui avons demandé de tenir. Il était en train de crier « au secours ! ». Nous lui avons dit que nous étions là et qu'il fallait qu'il tienne. Et au moment où il était près de nous, on l'a tenu par les deux bras et il est venu sur le bas du bateau. Donc vous êtes restés comme cela en fait, sur la partie du bateau encore en surface ? Oui, il avait déjà coulé, mais il s’est avisé qu’en se stabilisant il a laissé une partie en surface. Le gendarme nous a dit qu’il fallait qu’on parte de là parce que le bateau va aller en profondeur, donc le manager de notre équipe a sauté, le gendarme aussi a plongé, mais moi j'ai dit à ceux qui sont restés avec moi de ne pas s'agiter et qu'il fallait qu'on reste là, qu’on trouve seulement un moyen pour que les gens nous viennent en aide. Et tout ça s'est passé dans le noir. Comment ça se passait pour les dizaines d'autres passagers qui étaient à bord ? Je ne saurais vous le dire avec exactitude parce que nous étions dans la nuit. Chacun cherchait à se sauver. La seule image que je retiens c’est que, effectivement, l'équipe du bateau, le commandant de bord et ces gens, ils ont balancé les bouées, les bouées de sauvetage. Et puis, les plus rapides, ils sont montés dans les bouées de sauvetage, donc je n'entendais que les cris des gens, je ne voyais que les eaux bouger. À ce moment-là, il y avait la panique dans l'air donc je ne peux pas décrire cette scène-là. Comment avez-vous été secouru finalement ? Les secours ont pu nous atteindre à travers mon téléphone. Pendant que le bateau coulait, moi, je communiquais avec mes parents, ils n'en revenaient pas, je leur disais effectivement : « Je vous appelle et le bateau est en train de couler. » Il y a un sac qui trainait, en surface là, on a ouvert le sac et a retrouvé les fumigènes. Donc on a balancé les fumigènes en pleine mer, on a balancé pour signaler qu'il y avait des gens qui étaient en détresse puis nous sommes restés là. Et les secours ont fini par arriver ? Quand je vous parlais de mon téléphone tout à l’heure, le président de notre club a usé de son carnet d'adresse, il a appelé ses connaissances pour dire qu'on était en détresse, qu'il fallait que les gens viennent. Juste après que deux navettes sont arrivées, deux navettes blanches, ça va ils nous ont rassurés, que de toute façon ils ont été alertés, ils sont venus pour nous chercher. Ils nous ont demandé de ne pas paniquer et de monter directement dans les navettes. Et comment vous sentez-vous aujourd'hui ? Je suis en train de vivre un traumatisme qui ne dit pas son nom parce que je dois toujours rester au contact des gens. Si je ne parle pas et que je pense à ce scénario-là tout de suite je commence à trembler et je commence à pleurer. Il y a des amis qui viennent à la maison, les amis et connaissances, ma femme est là, mes enfants sont là, et je fais tout pour être avec eux. On bavarde ou je prends un petit verre de gauche à droite. Donc, il faut vraiment que je sois actif, il faut que je sois là où il y a le mouvement pour oublier cette situation-là. Alors, il y a une polémique sur l'efficacité des secours. Qu'en pensez-vous ? Les secours ont été bien coordonnés. Déjà que ça se passait dans la nuit. C’est un accident. C’est quelque chose d'imprévisible, donc je ne vais pas dire que dans les cinq minutes qui suivaient il fallait que les gens soient là. Ce qui a été mis en place pour nous sauver, ça a suivi, parce que on a prêt de 150 survivants. J'estime que le sauvetage a été bien coordonné. Le gouvernement a demandé un audit de tous les navires de transport de passagers. Ça vous semble important ? Oui, je fais d’abord confiance au gouvernement de mon pays et nous, les passagers, nous ne pouvons demander qu'à nos gouvernants d'être un peu plus rigoureux sur ce genre de navire mais je sais qu’ils s’attèlent à le faire. Voilà, c’est un accident qui est arrivé, un accident c'est un événement imprévisible. Moi je pense, pour eux, ils en sont conscients, ils font leur travail. Votre équipe, votre entourage, tout le monde a survécu ? Nous étions à 17 joueurs plus quatre dirigeants, donc nous sommes tous sortis sains et saufs, on ne cherche personne. Ça doit être un soulagement, j'imagine ? Le soulagement est mitigé parce que même, ceux qui sont partis, si je ne les connaissais pas ce sont des Gabonais comme moi, ils sont des humains comme moi. Donc, je compatis à cette situation. Nous, nous en sommes sortis sains et saufs, j'aurais bien voulu que ça soit le cas pour tout le monde. ► À lire aussi : Gabon: au Port-Môle, la tristesse se mêle à la colère après le naufrage mortel
20 minutes | Mar 13, 2023
Tchad: «Il faut avoir moins de France mais mieux de France», affirme Albert Pahimi Padacké
« En Afrique, il faut à la fois moins de France et mieux de France », affirme l’ancien Premier ministre tchadien Albert Pahimi Padacké, qui publie aux éditions L’Harmattan L’Afrique empoisonnée. Nommé au lendemain de la mort brutale du président Idriss Déby, en avril 2021, Albert Pahimi Padacké avait réussi à tenir 18 mois à ce poste difficile. Cinq mois après son départ de la primature, il prend ses distances avec le régime tchadien de transition et affirme que, lors des manifestations du 20 octobre dernier, la réaction des forces de l’ordre a été disproportionnée. De passage à Paris, le président du parti RNDT–Le Réveil répond à RFI. RFI : Albert Pahimi Padacké, au Tchad, 128 morts à l’issue de la répression sanglante des manifestations du 20 octobre, selon la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH). Comment a-t-on pu en arriver là ? Albert Pahimi Padacké : Il s’est trouvé que, le 20 octobre, des organisations ont projeté une marche. Dans cette marche, on a vu des jeunes armés de lance-pierres et parfois d’armes blanches, s’attaquant à des biens privés et publics parfois. En retour, on a vu une réaction des forces de l’ordre qui a amené un nombre important de morts et de blessés, ce qui, bien évidemment, n’épouse pas la proportionnalité requise en matière de maintien de l’ordre. Voulez-vous dire que la réaction des forces de l’ordre n’a pas été appropriée ? De mon point de vue, non. Et le nombre qui a été annoncé récemment par la CNDH… La Commission nationale des droits de l’homme… Par la Commission nationale des droits de l’homme, le nombre de 128 morts, c’est quand même un nombre énorme. Suite à cet événement tragique, que faut-il faire ? Dans un premier temps, il y a eu une commission internationale qui a été annoncée par le gouvernement. Nous attendons le résultat de la commission d’enquête internationale. Dans tous les cas, il faut que le gouvernement prenne les mesures idoines pour que les sanctions soient appliquées afin que cela ne se reproduise pas dans notre pays. Mais a-t-on jamais vu des responsables des forces de l’ordre sanctionnés au Tchad ? Mais les choses commencent toujours quelque part. Nous ne pouvons pas continuer avec l’impunité quand il s’agit de pertes en vies humaines. Beaucoup d’Africains reprochent à Emmanuel Macron de ne pas être cohérent, c’est-à-dire de condamner les coups d’État militaires au Mali, en Guinée et au Burkina Faso, et de valider le coup de force constitutionnel qui a eu lieu après la mort du président Idriss Déby en avril 2021. Est-ce que vous êtes d’accord avec cette opinion ?  Non. Je ne suis pas d’accord avec cette opinion, parce que, s’il y a eu, il est vrai, un changement non constitutionnel au Tchad, il est aussi vrai qu’il n’y a pas eu un coup d’État. Un coup d’État suppose une planification, une action d’un groupe d’hommes et de femmes pour renverser un pouvoir en place. Le maréchal Idriss Déby est mort face à une rébellion armée et ce n’est pas son armée qui a fait le coup d’État, même si, par la suite, le président de l’Assemblée nationale, qui constitutionnellement était intérimaire, a renoncé à ce droit constitutionnel et que l’armée s’est assumée pour éviter la déstabilisation du pays. C’est un changement non constitutionnel, mais ce n’est pas un coup d’État. La présence française en Afrique est fragilisée depuis deux ans par les décisions successives du Mali et du Burkina Faso de chasser les soldats français de leur territoire. Moyennant une présence moins visible, Emmanuel Macron souhaite que les militaires français puissent rester dans certains pays africains, dont le vôtre. Qu’en pensez-vous ? D’abord, il faut que les Africains et les Occidentaux comprennent que nous avons un défi commun : la lutte contre le terrorisme. Ce qu’il faut faire, de mon point de vue, ce n’est pas d’avoir à chasser l’armée française de nos pays. Il faut avoir moins de France, mais mieux de France. Ce n’est pas seulement une relation militaire. Il faut que les relations entre la France et les Africains quittent les labyrinthes des compromis entre dirigeants. Il faut prendre en compte les aspirations des peuples et notamment de la jeunesse, qui ne souhaite plus avoir le même type de coopération où un chef d’État africain, en problème avec sa jeunesse, est chaque matin sur le perron de l’Élysée avec le président français, bras dessus bras dessous. Une partie de la jeunesse africaine est séduite par la Russie. Est-ce qu’après la Centrafrique et le Mali, les soldats russes et les miliciens russes de Wagner peuvent s’installer demain au Burkina Faso ou dans votre pays, le  Tchad ? L’indépendance de l’Afrique ne consistera pas à baisser le drapeau d’une ancienne puissance et à hisser à la place le drapeau d’une nouvelle puissance. Il faut hisser les drapeaux africains. Wagner, c’est une milice privée qu’il faut payer. Est-ce que l’Afrique a les moyens aujourd’hui de s’autoriser les frais d’un mercenariat ? Nous avons besoin d’avoir une coopération militaire sérieuse avec des États, et non de traiter avec des mercenaires. Et de ce point de vue, vous, en tant qu’ancien Premier ministre tchadien, vous préférez ce partenariat avec quel pays du Nord ? D’abord, il n’y a pas de chasse gardée. [Avec la France], nous partageons la langue. Aujourd’hui, nous sommes en train de parler en français, cela crée un atout. Et donc, comme dans tout vieux couple, il y a des malentendus avec la France. Il faut les adresser de façon très claire, s’asseoir et redéfinir des nouvelles règles de coopération pour aller de l’avant. Et je trouve que la France a un atout préférentiel, compte tenu de l’histoire, compte tenu de la culture, compte tenu de la langue. Mais il faut que maintenant la France revienne vers les populations africaines et ne se contente pas des amitiés entre individus au sommet des États. Moins de France, mieux de France.
6 minutes | Mar 12, 2023
Georgiana Viou, nouvelle cheffe étoilée au «Michelin»: «Je suis contre les étiquettes»
Notre invitée ce dimanche nous entraîne au restaurant ! Native de Cotonou, Georgiana Viou avait deux passions lorsqu’elle est arrivée en France il y a une vingtaine d’années : les langues étrangères et la cuisine. Au final, ce sont les saveurs qui l’ont emporté. Après avoir travaillé dans de grands restaurants, la cheffe du « Rouge », établissement basé à Nîmes dans le sud de la France, vient de décrocher sa première étoile au Guide Michelin. Et c’est aussi la première fois qu’une cheffe originaire du Bénin décroche cette distinction. Cuisine des quatre coins du monde, engagement dans le travail, partage : Georgiana Viou est au micro de Guillaume Thibault.
8 minutes | Mar 10, 2023
Achille Mbembe: «Les cosmogonies africaines peuvent inspirer la quête d’un monde habitable»
Comment faire en sorte que les êtres humains puissent continuer à habiter ensemble la planète ? C'est cette question -cruciale - qui est au cœur du dernier livre du penseur Achille Mbembe. L'ouvrage, qui est intitulé La communauté terrestre, se penche sur les limites des modèles suivis jusqu'ici... Il soutient notamment que l'histoire africaine et les traditions du continent peuvent aider le monde à trouver un autre chemin. Achille Mbembe est notre invité ce 10 mars 2023.   RFI : L’une des idées qui traverse votre nouvel ouvrage, la Communauté terrestre, c’est que l’habitabilité de notre planète se dégrade à grande vitesse, et qu’elle se dégrade en grande partie en raison de notre incapacité à vivre ensemble. D’abord, entre humains, mais aussi en lien avec les animaux et les végétaux… Achille Mbembe : Tout à fait. Ce qui est en jeu, au fond, c’est de savoir si oui ou non la vie sur Terre va durer. On en est là. Il n’y a pas très longtemps, la grande question qui a occupé l’humanité était de savoir comment nait la vie, dans quelles conditions elle évolue. Aujourd’hui, il s’agit de savoir comment elle se termine et s’il est possible de la prolonger, en recourant à quelles ressources intellectuelles, culturelles… Et donc c’est un peu de cette question que traite le livre. Vous critiquez dans cet ouvrage ce que vous appelez la théologie de la nécrose qui pousse, selon vous, au repli, à l’enfermement. Qu’est-ce que cette théologie de la nécrose ? Et qui sont ceux qui la défendent ? On voit, puisque nous sommes en Europe, ce qu’il se passe entre la Russie et l’Ukraine. Voilà deux pays embarqués dans une guerre d’allure existentielle, une guerre qui au fond pourrait être nucléaire. Et donc, c’est cette danse macabre autour de l’abysse que j’appelle la théologie de la nécrose. Le constat que vous faites dans cet ouvrage, Achille Mbembe, est sombre mais il n’est pas complètement pessimiste. Il y a également des choses qui peuvent être faites, des pistes d’actions que vous suggérez. Vous écrivez, par exemple, dans votre ouvrage, que le principe de la race, qui a été le plus grand obstacle au projet d’habitation commune de la Terre depuis le XVIIe siècle, que ce principe peut être combattu. De quelle manière peut-on, selon vous, dépasser cette racialisation du monde ? Revenons aux questions fondamentales, à commencer par : qu’est-ce qui nous est commun ? On s’est focalisés sur la question de savoir : qu’est-ce qui nous sépare ? Tout nous pousse à revenir à la question de savoir : qu’est-ce qui nous est commun ? C’est qui mon semblable ? Comment est-ce que nous allons réparer ce monde ? On a le sentiment, à vous lire, que cet ouvrage, la Communauté terrestre, prolonge une des réflexions importantes de votre œuvre, ce que vous appelez le « devenir nègre du monde », le fait que ce que les populations africaines ont connu au cours de la traite négrière a constitué comme une sorte de matrice de la violence que vit l’ensemble de la planète sous la forme actuelle du capitalisme. Est-ce que c’est le cas ? Est-ce que vous diriez que pour habiter pleinement la planète il faut que nous procédions à une déconstruction profonde de ce qu’ont été la traite esclavagiste et la colonisation ? Ce qui s’est joué, notamment au moment de la traite des esclaves, c’est la tentative de transformation de l’humain en objet, en marchandise, sous la poussée d’une forme de raison qu’on pourrait appeler la raison « calculante », celle qui quantifie tout, celle qui pense effectivement que les quantités passent avant les qualités. Cette raison a conduit à l’écocide, c’est-à-dire au génocide du vivant. Et la question, c’est de savoir comment sortir de ce paradigme contre les forces de destruction. L’un des points essentiels de votre ouvrage c’est donc cet appel à repenser une relation avec l’ensemble du vivant, et vous nous expliquez que les cosmogonies africaines offrent des récits qui peuvent aider à penser l’avenir du monde. Est-ce que vous pouvez nous donner un exemple de cela ? Dans le livre, j’évoque en particulier les cosmogonies dogons, les cosmogonies bambaras également, la manière dont dans ces cosmogonies, la Terre est imaginée. D’où vient-elle ? Quelles en sont les origines ? Qu’est-ce que c’est que la vie ? Comment est-ce qu’au fond, ce qui nous rassemble, c’est la façon dont circule en chacun de nous des flux vitaux et la façon dont on met en réseau ces flux, non seulement entre les humains, mais entre les humains et les objets, les objets et les plantes, les plantes et les animaux, les animaux et les rivières. Et donc c’est cette espèce de symbiose qui, au fond, permet à la vie de perdurer et de résister aux forces de dessiccations. Voilà, je crois, le contenu de certaines de ces cosmogonies, et ces cosmogonies peuvent effectivement inspirer de nos jours la quête ici et là d’un monde habitable parce qu’ouvert à tous. ► Et le livre d'Achille Mbembe, La communauté terrestre, est publié par les éditions La Découverte.
5 minutes | Mar 9, 2023
Crise à l’est de la RDC: «Une nouvelle fenêtre est ouverte, la responsabilité de la France est engagée», estime Patrick Muyaya
Des combats se sont poursuivis dans l'Est de la RDC aux premiers jours du cessez-le-feu négocié par la médiation. Les autorités congolaises disent cependant qu'elles continuent à croire à cette nouvelle tentative de paix. Elles prennent surtout acte des propos tenus à la fin de la semaine dernière par le président français. Emmanuel Macron avait en effet déclaré que ceux qui s'opposeraient au processus actuel s'exposeraient à des sanctions. Pour Patrick Muyaya, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement congolais, « il y a aujourd'hui une nouvelle fenêtre qui s'est ouverte, la responsabilité de la France est engagée pour l'issue du processus ». Patrick Muyaya répond aux questions de Laurent Correau. RFI : En dépit du cessez-le-feu, les combats ont continué mardi dans l’est de la RDC. Quelle est la situation actuellement dans l’Est ? Est-ce qu’on continue à se battre ? Patrick Muyaya : Il y a eu des accrochages qui ont été rapportés par le porte-parole militaire du Nord-Kivu et qui ont fait l’objet d’une communication spécifique. Mais ici, je voudrais insister sur le fait que nous comptons sur le processus qui a été mis en œuvre, sur la responsabilité qui a été conférée au président [angolais João] Lourenço. Il faut regarder si, dans les jours qui viennent, ces attaques vont persister. Mais nous, nous voulons rester optimiste et croire que cette fois-ci, c’est la bonne. Alors justement, lors de la conférence de presse conjointe qu’il a co-animée samedi avec le président congolais Félix Tshisekedi, le président français avait dit que ceux qui ne respecteraient pas le cessez-le-feu s’exposeraient à des sanctions. Que doit faire la France maintenant selon vous ? La France doit continuer à faire pression pour que le cessez-le-feu soit respecté. Beaucoup de Congolais pensaient que la France était complice ou tout au moins travaillait en accord avec le Rwanda. Je pense que le président [français Emmanuel] Macron a eu des mots qui étaient assez clairs, même s’il n’a pas clairement condamné le Rwanda comme beaucoup de Congolais auraient voulu l’entendre. Mais il a mis la responsabilité du Rwanda sur la sellette et nous espérons qu’il va continuer à suivre le processus de près, pour que sa parole puisse être honorée dans l’hypothèse où le cessez-le-feu n’est pas respectée… et que donc des sanctions soient prises contre le Rwanda ou le M23 pour que cesse cette situation d’insécurité dans l’Est de la RDC. Vous aviez déclaré avant la visite d’Emmanuel Macron que vous souhaitiez un engagement clair pour le retour de la paix, une condamnation du Rwanda. Est-ce que vous êtes satisfait par les mots qui ont été prononcés pendant sa visite ? Patrick Muyaya : Écoutez, on ne pourra parler de satisfaction véritablement que quand il y aura évolution de la situation sur le terrain, mais nous avons apprécié les engagements clairs du président Macron parce qu’il a parlé de sanctions, il a parlé de responsabilités, il a parlé du Rwanda. Je pense qu’aujourd’hui, nous pouvons considérer qu’il y a une nouvelle fenêtre qui s’est ouverte et que la responsabilité de la France est engagée pour l’issue du processus. Lors de la conférence de presse de samedi, on a assisté à un échange musclé entre les deux présidents autour de l’expression « compromis à l’africaine » qui avait été utilisée par l'ex-ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian début 2019 pour parler de l’issue de l’élection congolaise. Comment faire en sorte que cette expression ne soit pas utilisée au sujet des élections de décembre 2023 ? Vous dites que c’était musclé, mais nous, on a trouvé que l’échange était plutôt démocratique, ça veut dire qu’on a discuté de choses assez dures, avec des vérités dites de part et d’autres. Ce qu’il faut retenir de cette séquence, c’est ce que le président Tshisekedi a dit qu'il faut éviter ce côté paternaliste, ce côté ingérence qui en fait est symptomatique de la Françafrique que le président Macron veut éliminer. Mais comment faire en sorte qu’on ne parle plus de « compromis à l’africaine » pour une élection congolaise ? Écoutez, il faut le dire plutôt aux officiels français qui ont utilisé cette expression. Pour ce qui concerne les élections à venir, nous nous travaillons justement à avoir un processus inclusif parce que pour la première fois, par exemple, il y a des Congolais de l’étranger qui vont voter. Le bureau de la Céni [Commission électorale nationale indépendante, NDLR] travaille à assurer un processus transparent. Nous espérons que le moment venu, la Céni pourra publier des résultats qui seront respectés par tous. Le président Tshisekedi a laissé entendre samedi dernier que les délais constitutionnels ne pourraient pas être tenus pour l’élection présidentielle en raison justement de cette insécurité dans l’Est. Est-ce que ce glissement annoncé ne donne pas un poids particulier à la demande de différents partis politiques de l’opposition, dont Lamuka et le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), pour un dialogue direct sur ces questions électorales ? Je ne suis pas sûr que le président Tshisekedi ait dit les choses telles que vous le dites. Il ne faut pas considérer les propos du président comme une annonce de glissement, mais il faut les considérer comme une alerte qui permette à la France, au Conseil de sécurité, de s’impliquer davantage pour que la paix revienne et pour que nous puissions faire des élections dans la sérénité avec des Congolais qui pourraient voter partout en même temps et en toute liberté. Nous pensons aujourd’hui que si la question de la sécurité pour laquelle nous avons un plan de sortie à travers le cessez-le-feu en cours, que si tout cela est respecté, nous ne voyons pas de raison pour que les élections ne se tiennent pas dans les délais. Est-ce que ce risque de glissement ne donne pas tout de même un poids particulier à la demande du PPRD et de la Lamuka pour un dialogue direct ? Aujourd’hui, suivre les schémas qu’ils proposent, c’est consacrer justement le glissement ce qui, de notre point de vue, n’est pas toujours de nature à faciliter les choses. Parce qu’après les dialogues, il y aura certainement une idée de partage des pouvoirs. C’est peut-être cela l’idée maitresse derrière. Mais nous, nous voulons considérer que la Céni fait son travail, et que s’il y a des préoccupations particulières des autres parties prenantes, notamment des partis politiques ou des différents candidats, ils peuvent approcher la Céni pour voir comment rectifier un certain nombre de choses. Mais ici, il faut que tout le monde s’implique pour que nous puissions nous donner le maximum de chances d’avoir les élections dans le délai prévu.
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